François HASTIER Directeur de Recherche (INaLF-CNRS)
LE PROBLEME EPISTEMOLOGIQUE DU CONTEXTE
ET LE STATUT DE L'INTERPRÉTATION
DANS LES SCIENCES DU LANGAGE
« un univers, un ensemble de contextes »
Gershom Scholem, lettre à Zalman Schoken, 29 oct. 1937
Après le discrédit du positivisme logique, et de son aboutissement le plus récent, le cognitivisme orthodoxe, le thème du contexte permet de révéler ou de souligner des aspects du changement épistémologique que connaissent les sciences du langage. Comme souvent dans l'histoire des idées linguistiques , ce thème cristallise des oppositions qui relèvent de l'ontologie '. En l'occurrence, c'est l'ontologie statique et dogmatique du positivisme qui se trouve contestée de toutes parts, soit par des ontologies dynamiques (comme celle de Thom), soit par des courants anti-ontologiques, comme celui de l'herméneutique matérielle {cf. l'auteur, 1996 a et b).
Dans les sciences du langage, le recul graduel de l'objectivisme a été marqué par l'abandon des grammaires context-free, l'usage croissant du concept de contexte, notamment en sémantique et en pragmatique. S'il est souvent invoqué au lieu d'être défini, le contexte a un effet de problematic ation, d'une part en marquant de fait une rupture avec le principe de compositionalité, d'autre part en introduisant la question de la situation {cf. la problématique de la cognition située). Il témoigne d'une reconnaissance locale et partielle du problème de l'interprétation. Aussi la réflexion sur le problème du contexte permet-elle de distinguer, voire d'opposer, la tradition logico-grammaticale, centrée sur le signe, et la tradition rhétorico-herméneutique, gagée sur le texte. Pour notre part, nous entendons relier le problème du contexte à celui du texte.
I. Problématique
1. Contexte et complexité
Le concept de contexte a deux fonctions en quelque sorte contradictoires : il permet (i) de reconnaître une forme de complexité dans la catégorisation des unités linguistiques , et (ii) de localiser des interactions déterminantes entre les
1. Parmi les grande docteurs du VIIe siècle indien, l'école de Prabhakara soutient la théorie de V anvitabhidhana : les mots ne prennent de sens que dans la phrase et donc le contexte a un rôle primordial. Elle s'appuie sur les phénomènes d'apprentissage, l'enfant ne comprenant le sens des mots que s'ils sont inclue dans une phrase. Celle de Kumarila estime au contraire que le sens des mots est déjà donné, et que le sens de la phrase en est la sommation. Comme aujourd'hui, l'enjeu ontologique est déterminant : Kumarila défendait l'orthodoxie védique.
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