Anne Carlier Université de Valenciennes
LA GENESE DE L'ARTICLE UN'
Le latin était une langue sans articles. Toutes les langues issues du latin, par contre, ont développé un système d'articles. Le français est la langue romane qui a mené le plus loin cette évolution1.
Cette genèse des articles en français a pour partie eu lieu durant la période prélittéraire. En particulier les articles définis sont déjà assez bien établis au moment où apparaît une importante production littéraire en langue « vulgaire » 2. Pour les articles issus du numéral latin unus, d'une part, et les articles provenant de la contraction de la préposition de avec l'article défini, d'autre part, la genèse est plus tardive et peut donc être étudiée à travers les textes. La présente étude se propose de retracer, sur la base de textes du xne au xvie siècle, les différentes étapes que parcourt la forme issue du numéral latin unus pour s'intégrer dans le système des articles. Une importance particulière est accordée aux textes permettant la comparaison entre plusieurs états de langue, tels les remaniements en moyen français de textes en ancien français ainsi que les traductions successives d'un même texte latin.
La recherche en diachronie a reçu une impulsion nouvelle sous l'effet de la théorie de la grammaticalisation 3. La notion de grammaticalisation reçoit chez Kuryiowicz (1965 : 69) la définition suivante :
Grammaticalization consists in the increase of the range of a morpheme advancing from a lexical to a grammatical or from a less grammatical to a more grammatical status [...].
*. Je remercie chaleureusement Willy Van Hoecke et Michèle Goyens, qui m'ont fait profiter de leur compétence dans le domaine de la diachronie, ainsi que Marleen Van Peteghem, qui m'a aidée à rassembler les données. Les hypothèses avancées, pourtant, n'engagent que l'auteur. Au moment de mettre la dernière main au manuscrit, j'ai pris connaissance de la grammaire nouvellement parue de Buridant, qui comporte un chapitre bien étoffé sur la détermination nominale. Je n'ai plus pu le prendre en considération dans le présent travail. 1. En regard des autres langues romanes, le français présente effectivement un emploi plus étendu des articles et une aire d'application plus restreinte du degré zéro de détermination. Cet état de choses trouve surtout son origine dans une évolution phonétique : l'amuïssement du /s/ final a hypothéqué le marquage de l'opposition entre singulier et pluriel au moyen de la flexion du substantif sans affecter de la même façon les articles. La nécessité de maintenir le marquage systématique de l'opposition entre singulier et pluriel dans le domaine nominal a donné une véritable impulsion au développement de la détermination nominale (Nyrop, 1928, V, § 118) et a réduit d'autant le terrain du degré zéro de la détermination. Pour une analyse plus détaillée des facteurs expliquant la régression du degré zéro de la détermination au cours de l'histoire du français, voir Carlier & Goyens (1998). 2. D'après Meillet (1977 : 256), cette évolution avait déjà été amorcée en latin, durant la période impériale. 3. La notion a été forgée par Meillet (1912). Les travaux prenant cette notion comme principal thème de recherche se sont multipliés depuis le début des années quatre-vingts. Pour une synthèse, voir Lehmann (1995) et Hopper & Traugott (1993). Pour un examen critique de la notion, voir Melis et Desmet (1998).
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