Déviance et Société, 1994, Vol. 18, No 4, pp. 397-430
L'INDULGENCE, PRATIQUE
DISCRÉTIONNAIRE ET ARRANGEMENT ADMINISTRATIF
C. PÉREZ-DIAZ*
Le suivi de cohortes de contraventions routières, depuis leur constatation par les forces de l'ordre jusqu'à l'exécution des sanctions (Pérez-Diaz, Lombard, 1992) permet de repérer, puis de proposer une première définition d'une pratique d'abandon de poursuites décidée par la police ou la gendarmerie. Cette pratique n'est pas prévue par les lois françaises, puisqu'en droit pénal, c'est le parquet qui est juge de l'opportunité des poursuites1. Et pourtant, elle est suffisamment répandue et reconnue pour porter un nom qui figure dans nombre de documents internes, l'« indulgence».
Une comparaison avec d'autres pratiques en Europe permettrait de l'identifier plus précisément. Cette pratique est illégale et discrétionnaire ; exercée par les forces de l'ordre, elle est fortement reliée à un univers professionnel; elle empiète sur le pouvoir de décision de l'opportunité des poursuites qui revient au parquet ; elle s'exerce aux dépens de règles dont l'appartenance au droit pénal est contestée. Ces nombreux aspects ne peuvent tous être traités à fond, certains ne seront abordés que brièvement. Il convient donc avant tout de sélectionner un plan de comparaison principal. Divers travaux conduisent à penser que c'est moins sur le plan strictement juridique qu'en tant que pratique des forces de l'ordre qu'une comparaison européenne trouve son sens.
Après une présentation de la recherche qui permet d'aboutir à une définition de l'indulgence, cette dernière sera comparée à d'autres pratiques des forces de l'ordre en Europe: elles ont toutes en commun d'être discrétionnaires. La notion de pouvoir discrétionnaire peut prendre trois sens principaux, les deux premiers qualifiés de faibles et le troisième de fort (Dworkin, 1978). Le premier qualifie le pouvoir d'appréciation, les normes à respecter ne pouvant l'être automatiquement sans faire appel au jugement des autorités compétentes. Le second sens
* Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, CESDIP, CNRS, Paris. 1 En France, depuis 19S8, ce pouvoir est légalement reconnu au parquet (Art. 40 du code de procédure pénale (C.P.P.)). Le classement sans suite de pure opportunité par le parquet, que l'on pourrait être tenté de rapprocher de l'indulgence, existe en toute légalité.
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