Déviance et Société , 1988, Vol. 12. No 4, pp. 317-359

LA CRÉATION DU SERVICE SOCIAL DES PRISONS

ET L'ÉVOLUTION DE LA RÉFORME PÉNITENTIAIRE

EN FRANCE DE 1945 À 1958

C. FAUGERON* et J.-M. LE BOULAIRE**

«Changer la prison» est un thème qui mobilise pénologues, praticiens, gestionnaires et aussi, lorsque des accidents ou des révoltes attirent l'attention, des fractions du public plus ou moins militantes qui prennent conscience que l'enfermement carcéral pose peut-être davantage de problèmes qu'il n'en résout. Mais «changer la prison» est aussi une question qui intéresse le sociologue dans la mesure où la problématique du changement voulu — ou rêvé — conduit à s'interroger sur la façon dont le dispositif carcéral s'est constitué, qui en a la maîtrise, comment les intentions passent dans les faits, quels sont les principes d'action, etc. En bref, cette question renvoie à celle de la façon dont des dispositifs concrets mettent en œuvre des politiques et s'inscrivent dans des contextes sociaux qui en déterminent les contours, mais pas forcément les logiques d'action spécifiques.

Regarder la façon dont s'est effectivement réalisé la changement en France après la Libération, époque réputée être celle d'une réforme pénitentiaire, est une entrée pour tenter de répondre à de telles questions1. La réforme alors initiée intervient après presque un demi-siècle de silence du débat pénitentiaire (Wright, 1983). Les deux seuls vrais débats de l 'avant-guerre portent sur la suppression du bagne et sur les maisons de correction (Gaillae, 1971). Vide doctrinal, donc, mais aussi administration enkystée dans des structures élaborées au XIXe siècle, auxquelles le rattachement en 1911 de l'administration pénitentiaire au ministère de la Justice change peu de choses: personnel peu nombreux et peu diversifié (95,9% des emplois budgétaires sont, en 1939, des emplois de surveillants), habitudes liées à un mode de recrutement presque exclusivement militaire et à des cloisonnements hiérarchiques bien établis; en même temps, les effectifs des personnes incarcérées ne font que décroître (Barré, 1986). Certes, la période n'est pas exempte de quelques tentatives de mobilisation: mise en place d'une commission de réforme pénitentiaire en 1924; réorganisation, à partir de 1935,

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