Language: French
1.1919
Aide-mémoire du Département politique
Memorandum (aide-mémoire) (M)
Exposé sur l’intérêt et la nécessité de maintenir la neutralité de la Suisse dans le cadre de la Société des Nations : définition d’un statut particulier.
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Jacques Freymond, Oscar Gauye (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 79

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Bern 1979

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dodis.ch/43824
Aide-mémoire du Département politique1
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AIDE-MÉMOIRE RELATIF À LA NEUTRALITÉ DE LA SUISSE

La Suisse, placée au centre de l’Europe et entourée de quatre grands Etats, dont trois ont un caractère essentiellement homogène, représente depuis longtemps le type achevé d’une Société des Nations, puisqu’elle abrite vingt-deux Etats souverains, parlant quatre langues différentes et vivant, depuis des siècles, d’une vie nationale propre.

De tous temps fidèle gardienne des passages des Alpes, cette Nation est destinée à devenir de plus en plus, grâce à sa situation géographique, un des centres principaux des échanges économiques de l’Europe.

La neutralité suisse est une institution séculaire, librement choisie par les treize Cantons au 16ème siècle, à un moment où la Suisse était encore une Puissance militaire. La Confédération en effet a répudié depuis lors toute politique de conquête. Même avant cette époque, les Suisses, vainqueurs de Charles le Téméraire, ont respecté la Bourgogne.

Dés le début du 16ème siècle jusqu’à nos jours, les Confédérés ont, sauf pendant la courte éclipse des guerres de la Révolution et de l’Empire, maintenu systématiquement cette neutralité, érigée en maxime d’Etat.

L’utilité de cette institution était à tel point universellement admise par tous les Etats qu’au cours des crises qui ébranlèrent l’Europe entière, la Guerre de Trente Ans, les Guerres de Louis XIV, la neutralité suisse fut scrupuleusement respectée.

Cette neutralité émane de la volonté nationale d’un peuple libre. Elle répond admirablement à des aspirations qui ont fait de lui, et cela depuis plusieurs siècles, le prototype de la Société future. Dès leur réunion en un seul Etat fédératif, les Cantons suisses ont pratiqué, plus qu’aucun autre Etat, une politique rigoureusement pacifique. Sous ce rapport, la Suisse n’a pas d’égale dans le monde. Cette attitude était si bien celle qui convenait à l’Europe qu’en 1815 les grandes Puissances, réunies à Paris où elles se retrouvent aujourd’hui de nouveau après un siècle, ont, d’un commun accord, proclamé «que la neutralité et l’inviolabilité de la Suisse et son indépendance de toute influence étrangère sont dans les vrais intérêts de la politique de l’Europe entière». La guerre qui vient de se terminer fournit un exemple frappant de l’intérêt qu’il y a encore actuellement, pour le monde entier, à conserver la neutralité de la Suisse. Cette guerre doit être envisagée comme une première grande expédition collective de plusieurs des membres de 1 â Société humaine dirigée contre le violateur du droit international. En restant en dehors de cette exécution exemplaire, la Suisse s’est trouvée en mesure de rendre à la communauté des services bien plus considérables que si elle avait participé à l’action militaire. C’est grâce au maintien des engagements d’honneur pris par le Conseil Fédéral au début de la guerre envers tous les belligérants, que la Croix-Rouge Internationale, née en Suisse, institution universellement reconnue et généralement respectée de tous, a pu développer sa belle activité. Elle a dû sa situation privilégiée au fait qu’elle avait son siège dans un pays à neutralité permanente. Si la Croix de Genève en impose à tous, au point qu’elle pénètre actuellement jusque dans les milieux les plus fermés par l’anarchie, par exemple en Russie, c’est que l’on sait que son berceau est également celui d’un peuple auquel sa Constitution interdit formellement de prendre part aux entreprises belliqueuses des autres Nations. C’est également en raison de cette neutralité qu’à un moment où les rapports entre belligérants avaient entièrement cessé, la Suisse a joui de ce beau privilège de renouer, dans le domaine de la charité, les relations qui devaient à tout prix être reprises, pour épargner au monde une aggravation nouvelle de ses souffranGrâce à sa neutralité, la Suisse, demeurée une île de paix au milieu de la tourmente, a pu assurer, pendant quatre ans, l’hospitalisation et le transport des victimes de la guerre, le ravitaillement, dans toutes les directions, des prisonniers et des populations civiles, et, enfin, la transmission de correspondances innombrables rétablissant un lien précieux entre ceux qu’une crise formidable avait brutalement séparés les uns des autres. On ne saurait donc s’étonner que la population suisse tout entière soit profondément attachée à une politique qui, à l’intérieur du pays, contribue au maintien des relations fraternelles entre les quatre races dont se compose la Confédération suisse, alors qu’au dehors elle a permis jusqu’ici à la Suisse d’accomplir une action au plus haut point humanitaire et bienfaisante. Vouloir priver la Suisse d’un semblable privilège équivaudrait non seulement à violenter ses traditions les plus chères, mais aussi l’exposer à voir son existence même compromise en suite de ses affinités avec les diverses races qui l’entourent. Dans la mesure où cela sera nécessaire, la Confédération, membre de la Ligue des Nations, désire conserver son armée de soldats citoyens lui permettant d’assurer, comme par le passé, la garde des Alpes et le maintien de l’ordre intérieur. Cette armée, institution entrée dans les mœurs de la Nation, est une excellente

école de civisme. Elle constitue en outre une force de police précieuse pour lutter contre tous les mouvements subversifs.

Participer aux guerres de ses voisins exposerait la Suisse, en raison de sa situation géographique, à une ruine totale. Elle peut rendre un service bien plus important à la communauté en assumant, au prix de sacrifices réels, la garde de la forteresse centrale de l’Europe, qui pourrait devenir le siège d’une où de plusieurs des institutions de la Ligue des Nations, et en rendant aux membres de cette Ligue les mêmes services qu’elle a pu offrir à l’Humanité, dans le conflit qui vient de se terminer.

La Suisse, la plus ancienne des démocraties fédératives modernes et le modèle de la future Ligue des Nations, désirerait vivement faire sentir à tous que le maintien de sa neutralité, loin de devoir être envisagé comme un empêchement à son admission dans cette Société, pourrait au contraire être utilisée par cette dernière

à son propre avantage. Elle demande à y prendre sa place sans modifier son statut international actuel, qui finira par devenir celui du monde entier, le jour où

faction bienfaisante et féconde de la Ligue des Nations aura mis fin définitivement à l’état de guerre.

1
Texte non signé, mais rédigé soit par le Ministre Ch. E. Lardy, soit par L. Cramer; il s'agit de toute évidence d’un projet du Mémorandum relatif à la neutralité suisse du 8 février 1919, cf. no 177.
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(Copie): E 2001(B) 1/83. 2eme.