Les troubles hypertensifs de la grossesse sont de plus en plus fréquents, y compris les manifestations graves comme la prééclampsie compliquée du syndrome HELLP (hémolyse, taux d’enzymes hépatiques élevés et faible numération plaquettaire).
Les signes révélateurs des troubles hypertensifs de la grossesse peuvent être généraux: céphalée, troubles visuels, dyspnée, douleur épigastrique, nausées, vomissements et œdème périphérique.
L’hématome sous-capsulaire du foie est une complication rare du syndrome HELLP, qui peut mener à une rupture ou à un infarctus du foie.
La prise en charge de l’hématome sous-capsulaire du foie devrait porter principalement sur le moment et le mode d’accouchement, la régulation de la pression artérielle ainsi que le diagnostic et la prise en charge des complications comme l’insuffisance rénale aiguë, l’hémopéritoine et la thrombose.
Une femme primipare de 30 ans, jusqu’alors en bonne santé, s’est présentée chez son médecin de famille à 39 semaines de grossesse, car elle avait remarqué une diminution des mouvements fœtaux; on l’a envoyée au triage de l’unité de travail et d’accouchement. Elle avait depuis 4 jours de la douleur au quadrant supérieur droit, des crampes, des nausées, des vomissements et de l’anorexie. Elle n’avait pas de céphalée, de changements de vision, de douleur thoracique, de dyspnée ni d’œdème, qui auraient été des signes de prééclampsie. Elle était normotendue mais en état de tachycardie (fréquence cardiaque 115 battements/min), et les examens cardiorespiratoires étaient sans particularités. L’abdomen était sensible à la palpation. Les examens exploratoires ont révélé de l’anémie et un taux d’hémoglobine de 83 g/L (plage normale 120–160 g/L), de la thrombopénie, un taux de créatinine normal et un rapport protéine:créatinine élevé (tableau 1). Le taux d’hémoglobine était normal 8 semaines plus tôt. Des anomalies de la fréquence cardiaque fœtale, accompagnées d’une décélération soudaine, grave et prolongée, ont été observées, et la patiente a été transportée à la salle d’opération pour une césarienne d’urgence.⇓
Dans la salle d’opération, nous avons constaté la présence d’un hémopéritoine d’environ 700 mL d’origine incertaine. L’équipe de chirurgie générale a alors été consultée en urgence pour une exploration peropératoire, mais la source de l’hémopéritoine n’a pas été trouvée. L’équipe a mis au monde une petite fille, et l’indice d’Apgar était de 9, à 1 minute et à 5 minutes. La perte sanguine a été estimée à 1795 mL, et la patiente a été ranimée au moyen de concentrés de globules rouges, de plaquettes, d’acide tranexamique et de fibrinogène activé. Elle a aussi reçu un total de 9 g de sulfate de magnésium par intraveineuse (bolus suivi d’une perfusion), étant donné le risque d’évolution vers la prééclampsie. Une tomodensitométrie (TDM) postopératoire de l’abdomen et du pelvis selon un protocole abdominal multiphasique (phases artérielle et veineuse portale, sans produit de contraste) a montré un gros hématome sous-capsulaire du foie (5,8 × 16,4 × 19,3 cm) avec rupture de la capsule hépatique, longeant la gouttière paracolique droite jusque dans le pelvis (figure 1) et une thrombose partiellement occlusive de la veine gonadique (ovarienne) gauche s’étendant jusque dans la veine rénale proximale gauche. Trois sièges d’extravasation active ont été repérés, et l’angiographie numérique avec soustraction a permis de confirmer qu’ils tiraient leur origine des branches de l’artère hépatique droite. Les sièges ont été embolisés avec succès par une suspension épaisse de poudre hémostatique résorbable de gélatine.
Après l’opération, la patiente a indiqué que la douleur et la distension abdominales se résorbaient graduellement. Le deuxième jour après l’accouchement, il y a eu un début d’hypertension (pic de pression artérielle 151/100 mm Hg), et nous avons commencé à lui administrer de la nifédipine orale à libération progressive (30 mg toutes les 12 h). D’après les anomalies cliniques et décelées en laboratoire, un diagnostic de prééclampsie compliquée d’un syndrome HELLP (hémolyse, taux d’enzymes hépatiques élevés et faible numération plaquettaire) (tableau 1) a été posé. Nous avons aussi diagnostiqué une insuffisance rénale aiguë après avoir comparé le taux de créatinine à l’arrivée avec le taux de créatinine amélioré après l’accouchement, en l’absence d’une valeur de référence précédant la grossesse.
Un tomodensitogramme pris le deuxième jour après l’accouchement a montré une hypoatténuation correspondant à un infarctus hépatique, vraisemblablement une complication de l’embolisation de l’artère hépatique, et une apparence stable de l’hématome et de la thrombose de la veine ovarienne (figure 2). La pression artérielle était bien stabilisée sous nifédipine orale à libération progressive, et la patiente a reçu son congé au cinquième jour postpartum, dans un état stable.
Trois semaines après l’accouchement, la patiente a été vue en clinique de médecine interne obstétricale. La pression artérielle variait de 110 à 120/60 à 80 mm Hg et la nifédipine a été cessée. Huit semaines après l’accouchement, elle demeurait normotendue.
Discussion
Les troubles hypertensifs de la grossesse, y compris les manifestations graves comme la prééclampsie, sont de plus en plus fréquents; leur prévalence aurait doublé entre 2000 et 2018 aux États-Unis1. Ces troubles forment un spectre comprenant l’hypertension chronique ou préexistante, l’hypertension gravidique et la prééclampsie, avec une caractérisation plus précise fondée sur les complications associées comme le syndrome HELLP. Selon la ligne directrice la plus récente de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC [Society of Obstetricians and Gynecologists of Canada]), la prééclampsie est diagnostiquée lorsqu’un ou plusieurs des nouveaux troubles suivants s’ajoutent à l’hypertension: protéinurie; troubles affectant le système nerveux central, ou les systèmes et appareils cardiorespiratoire, sanguin, rénal, hépatique ou fœtoplacentaire; ou des complications graves aux organes cibles (la ligne directrice no. 426 de la SOGC présente les critères diagnostiques complets)2. Le syndrome HELLP est une complication rare de la grossesse, touchant 1 % des femmes enceintes, mais il s’observe chez 10 %–20 % des patientes qui souffrent de prééclampsie3. Le syndrome est habituellement associé à l’hypertension; cependant, 10 %–20 % des femmes atteintes sont normotendues4. La patiente répondait aux critères de la prééclampsie (pression artérielle élevée et plusieurs problèmes de santé et complications) et du syndrome HELLP (hémolyse, taux d’enzymes hépatiques élevés et faible numération plaquettaire), le tout compliqué d’un hématome sous-capsulaire du foie. Les anomalies biochimiques initiales auraient pu être expliquées par une hémorragie et une insuffisance rénale aiguë prérénale avec déplétion intravasculaire. Toutefois, l’aggravation de l’anémie, la thrombopénie, les taux d’enzymes hépatiques élevés et les signes d’hémolyse, parallèlement au début de l’hypertension, correspondaient bien à un diagnostic unificateur de prééclampsie grave et de syndrome HELLP, avec des complications associées à chacun, soit une insuffisance rénale aiguë, un hématome sous-capsulaire du foie et une thrombose.
L’hématome sous-capsulaire du foie est une complication rare du syndrome HELLP, décelée dans moins de 2 % des grossesses dans lesquelles ce syndrome est présent5. Il peut évoluer vers une rupture ou un infarctus du foie, accidents susceptibles d’avoir des conséquences dévastatrices pour la patiente et le fœtus s’ils ne sont pas rapidement reconnus et pris en charge5. Les patientes peuvent présenter de la dyspnée; une douleur à l’épaule, au dos ou à l’épigastre; de l’anorexie ou encore des nausées et des vomissements comme chez la patiente en question5. Son cas a été pris en charge par des équipes de spécialistes en obstétrique et gynécologie, en chirurgie générale, en radiologie interventionnelle et en médecine interne obstétricale dans une perspective opératoire et médicale, étant donné le tableau atypique, les manifestations graves nécessitant une intervention urgente et la découverte fortuite d’une thrombose partiellement occlusive d’une veine gonadique.
Les différentes possibilités de prise en charge de l’hématome sous-capsulaire du foie varient de l’approche conservatrice (assistance hémodynamique, transfusion et correction de la coagulopathie) à l’approche minimalement effractive de l’embolisation transcathéter de l’artère hépatique, jusqu’à l’intervention chirurgicale avec tamponnement, sutures parenchymateuses, résection ou solution de continuité de l’artère hépatique6. Certaines patientes ont même besoin d’une transplantation du foie6. Les auteurs d’une revue systématique récente ont fait état de taux de survie maternelle et fœtale de 85 % et 59 %, respectivement, ce qui indiquerait que ces taux n’ont pratiquement pas changé au cours de la dernière décennie7. Cependant, il s’agit là d’une amélioration par rapport aux données d’avant 2003, selon lesquelles le taux de survie maternelle était estimé à 61 %7. Dans une revue de 2021 portant sur 73 patientes souffrant d’un hématome souscapsulaire du foie, les meilleurs taux de survie maternelle et fœtale ont été observés chez celles qui avaient été traitées par embolisation de l’artère hépatique7. Il faudrait donc fortement envisager l’approche minimalement effractive de l’embolisation comme première intervention si l’état clinique est assez stable, ce qui souligne l’importance d’effectuer une angiographie par TDM chez les patientes atteintes du syndrome HELLP présentant des douleurs abdominales ou ayant des taux d’enzymes hépatiques élevés, afin de faciliter le diagnostic et la prise en charge rapides7. L’angiographie par TDM fournit à la fois de l’information diagnostique (particulièrement chez les patientes qui présentent des douleurs abdominales et qui ont des taux d’enzymes hépatiques anormaux, mais chez qui la césarienne d’urgence n’est pas indiquée) et une possibilité de traitement minimalement effractif; elle peut aussi servir à déceler d’autres affections qui pourraient expliquer l’état des patientes ou y être associées. L’intervention chirurgicale ouverte est suggérée comme mesure de sauvetage chez les patientes dont l’état clinique est instable ou quand l’angiographie par TDM est impossible7.
La thrombose d’une veine gonadique est rare; l’incidence totale varie de 0,05 % à 0,16 % dans les cas de grossesse, principalement en période postpartum. Parmi ces thromboses, 90 % surviennent dans la veine gonadique droite en raison de sa longueur et de la dextrorotation de l’utérus gravide, qui entraîne de la compression8. Les facteurs de risque comprennent l’infection et la césarienne, particulièrement dans les cas des grossesses multiples9. Il n’existe aucun consensus dans la documentation quant au traitement et, dans une revue récente, aucune corrélation statistiquement significative n’a été démontrée entre l’utilisation d’anticoagulants et la résolution de la thrombose8. Les auteurs de la revue ont alors suggéré de ne traiter l’accident vasculaire que devant des symptômes comme une thrombophlébite septique et une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire concomitantes. Les recommandations actuelles de la SOGC supposent un déclencheur infectieux de thrombose veineuse gonadique et elles viennent appuyer l’utilisation d’antibiotiques à large spectre, ainsi que la prise en considération de l’anticoagulothérapie9. La décision de traiter par des anticoagulants doit être prise sur une base individuelle, selon le facteur déclencheur, le siège et l’étendue de la thrombose. Chez la patiente en question, l’emplacement à gauche donne à penser que l’état inflammatoire et l’hypercoagulabilité associés à la prééclampsie et au syndrome HELLP étaient des facteurs prédisposants plus influents que les changements anatomiques associés à la grossesse. Étant donné le risque de reprise des saignements dans le contexte d’un hématome souscapsulaire du foie rompu, l’anémie multifactorielle avec signes d’hémolyse, le caillot partiellement occlusif, l’absence d’extension dans la veine cave inférieure et l’absence de signes de déclencheur infectieux, nous avons décidé de ne pas traiter la patiente par des anticoagulants ou des antibiotiques.
Nous présentons ici le cas grave d’une patiente atteinte de prééclampsie et du syndrome HELLP — le tout compliqué d’une insuffisance rénale aiguë, d’un hématome sous-capsulaire et d’une thrombose — qui avait à l’arrivée une pression artérielle normale, de la tachycardie ainsi que des nausée et des vomissements; un hémopéritoine a été constaté en cours d’opération. Ce cas souligne l’importance d’avoir un sérieux doute de prééclampsie ou de syndrome HELLP chez les patientes présentant des symptômes évocateurs ou des signes d’appel, comme une douleur abdominale supérieure, des céphalées, des changements de vision, une altération de l’état de conscience ou de la dyspnée, ainsi que des signes biochimiques précoces, même en l’absence d’hypertension à l’arrivée. Les professionnelles et professionnels de la santé devraient envisager de procéder rapidement à des examens par imagerie et à une intervention minimalement effractive si l’état de la patiente, les ressources et le temps le permettent.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.
Collaborateurs: Toutes les auteures ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude ainsi qu’à l’ébauche du manuscrit, ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et endossent l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/