Dans une vie consacrée à la chirurgie, le mentorat occupe une place essentielle : j’enseigne, donc je suis. Tout programme qui encourage le partage des pratiques entre des chirurgiens chevronnés sur le point de prendre leur retraite et de nouveaux diplômés qui font leurs premières armes en chirurgie faciliterait un mentorat efficace.
Gaspare Tagliacozzi (1545–1599), un éminent professeur de chirurgie, serait à l’origine de l’utilisation moderne du greffon par embout pédiculé croisé pour reconstruire le nez. Or, selon des preuves dignes de foi, sa technique a d’abord vu le jour en Inde quelque 1500 ans auparavant. La pérennité de la technique a peut-être été assurée par la médecine gréco-romaine telle qu’elle s’exerçait dans le sud de l’Italie, mais le secret en a été maintenu d’une génération à l’autre dans des familles de chirurgiens qui en étaient les détentrices exclusives. Nous gardons donc le souvenir de celui qui a l’enseignée plutôt que celui des médecins de l’Antiquité qui ont choisi de ne pas partager leur savoir. S’il y a un chirurgien dont on se souviendra probablement dans 500 ans, c’est l’Américain Thomas Starzl (1926–2017) qui a enseigné la physiologie du foie et la transplantation de l’organe à des chirurgiens de tous les pays, y compris le Canada.
Le Journal canadien de chirurgie (JCC) se désole du décès récent de 3 maîtres de la chirurgie en soulignant leur carrière de professeurs. Jean Couture (1924–2016) a été directeur du département de chirurgie de l’Université Laval, où il a exercé le rôle de mentor auprès de plusieurs générations de chirurgiens1. Le Dr Couture a exercé son rôle de chef de file et de professeur sur la scène nationale dans des organismes comme l’Association canadienne des chirurgiens généraux et le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, où il a agi à divers titres, notamment comme président de ces 2 organismes. Au cours des années 1990, lorsque l’avenir du JCC était incertain, il est intervenu pour obtenir le soutien financier et intellectuel des associations de spécialistes. Don Wilson (1917–2017), directeur du département de chirurgie à l’Université de Toronto, a également été président du Collège Royal. Le Dr Wilson a été un pionnier de la bioéthique au Canada; il a milité pour qu’elle s’intègre à tous les aspects de la formation en spécialité. Tom McLarty (1925–2017) n’a pour sa part été président ni d’un département ni d’une organisation nationale, mais il a su inspirer l’amour et la reconnaissance chez des générations de chirurgiens du Sud-Ouest de l’Ontario. Son approche « laissez-moi vous montrer comment on fait ça », tout en douceur, a contribué à l’excellence technique et à l’ouverture d’esprit vis-à-vis de l’innovation parmi ses fidèles adeptes.
Lorsqu’est venu le temps de faire le bilan de la vie de ces chirurgiens hors du commun, ce sont leurs contributions à titre de mentors qui ont attiré l’attention. Même si on imagine souvent le chirurgien comme un valeureux pionnier solitaire qui se bat pour surmonter les obstacles et donne aux patients atteints de maladies autrefois considérées incurables, l’accès à de nouveaux traitements, la réalité est plutôt celle d’un chef de file qui inspire son équipe afin de la conduire au succès. Les écoles et les associations chirurgicales aiment bien formaliser les programmes de mentorat. Ces programmes sont pour ainsi dire tous voués à l’échec parce qu’il est difficile de maintenir l’enthousiasme quand il est forcé. En effet, aucun des mentors classiques n’a appris son art en suivant un programme de mentorat. Leur succès à titre de mentors semble être dû tout à la fois à leur caractère, aux circonstances et à leur renommée. De nombreux mentors dits classiques ont connu un succès tel que leur influence a perduré bien long-temps après leur départ à la retraite, voire leur décès. Et la Société de chirurgie portant le nom du rédacteur fondateur du JCC, Robert Janes (1894–1966), qui a continué de se réunir près de 50 ans après son décès, en est un bon exemple2.
Les mentors semblent partager un même désir, c’est qu’au moment de leur départ, leur domaine soit plus fort et en meilleure position, et ce, dans l’intérêt de ceux qui leur succèdent. Nous entrons dans une période où ce souhait sera difficile à réaliser. Au Canada, les nouveaux chirurgiens ont été forcés d’accepter des postes temporaires ou de remplacement. En plus de l’incertitude que cela comporte, leurs collègues chevronnés qui partent leur laissent souvent des interventions difficiles, voire dangereuses. Le JCC a suggéré une meilleure voie, celle qui consiste à partager les pratiques avant de quitter : le chirurgien chevronné collabore ainsi avec le nouveau diplômé pendant une période de transition de 5 ans3. L’Université d’Ottawa a mis en place ce type de programme4. Alors que le Collège royal cherche à combiner la formation des médecins résidents et l’apprentissage continu, il commence à définir les différentes phases d’une carrière en chirurgie. Les programmes universitaires et ceux du Collège royal au chapitre du partage des pratiques comme façon de faciliter une transition réussie entre les différentes phases de la formation, seront plus propices à un mentorat efficace que les programmes non spécifiques.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’éditeur.
Intérêts concurrents : Aucun déclaré.