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Reviewed by:
  • Otages par Nina Bouraoui
  • Michéle Bacholle
Bouraoui, Nina. Otages. Lattés, 2020. ISBN 978-2-7096-5055-7. Pp. 127.

C'est "en hommage aux otages économiques et amoureux que nous sommes" que Bouraoui explique avoir écrit cette nouvelle version de sa pièce de 2015—la chute du mur du silence sous les coups de boutoir des différents hashtags post-#metoo n'y est sans doute pas étrangère. Employée modèle, Sylvie Meyer, 53 ans, séparée, mère de deux garçons, a gravi les échelons de la Cagex à force d'un travail acharné et consciencieux, et elle a fini par gagner la confiance de son patron. Victor Andrieu n'est que louanges jusqu'au soir où, contre toute attente, elle craque et le prend en otage. Sylvie nous livre son récit, mi-témoignage mi-confession. Elle nous expose le bon fonctionnement de son système mental grâce à une stricte compartimentation des pans de sa vie. Elle reconnaît objectivement sa part de responsabilité dans le départ de son mari. S'est alors installé un silence violent, et rouverte une faille que la conjoncture économique n'a fait que creuser. Profitant de la docilité de son employée, Andrieu a en effet chargé Sylvie d'établir des "viviers", des classements d'employés en prévision d'éventuels licenciements. Celle qui parvenait à faire le grand écart entre la direction et les salariés et, humaine, n'humiliait jamais ses "abeilles", s'est pliée aux exigences patronales, remettant en question les soi-disant amitiés d'entreprise. Quelque chose se brise en cette femme forte, étrangère à la violence mais écrasée par le silence, et Sylvie se présente devant Andrieu non pour le tuer ou le menacer, juste pour lui faire ressentir la peur—celle de tout perdre—et lui apprendre que les patrons, parce qu'ils sont instruits, se doivent d'être irréprochables et justes car "le pouvoir n'est pas audessus des lois, et encore plus, pas au-dessus de la morale" (64). Sylvie lui en veut de lui avoir fait perdre en dignité morale ce qu'il lui avait fait gagner en pouvoir au sein de l'entreprise. Alors elle déraille mais ne regrette pas sa prise d'otage, acte vengeur de cette femme au nom des "siens", des "petits" qui n'ont qu'un droit, celui de se taire "car il faut bien bouffer; alors on accepte, on continue, on suit la ligne toute tracée du berceau à la tombe, toujours dans l'humiliation, la main tendue" (73), écrit Bouraoui à l'heure des manifestations des gilets jaunes écrasés sous un macronisme aussi méprisant, dégradant et culpabilisant que l'est Andrieu. À la violence économique s'ajoute pour les femmes la violence sexuelle et genrée que dénonce tout autant Bouraoui, pour qui le vrai malheur des femmes réside dans leur vulnérabilité physique. Otages est un roman d'une violence aussi implacable que celle qu'il met en scène, énoncée dans une prose à la beauté féroce. Tels des otages, nous sommes forcés de [End Page 258] patienter, mais la narratrice nous livre dans les trente dernières pages la clef et de son récit et de son silence. Ce roman n'est rien de moins qu'un total ravissement.

Michéle Bacholle
Eastern Connecticut State University
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