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MLN 122.4 (2007) 713-734

Effets de voix dans Madame Bovary
Anne Herschberg Pierrot
Université Paris 8 et Institut des Textes et Manuscrits modernes (CNRS-ENS)

Deux théories concurrentes du récit se font jour aujourd'hui, comme l'a bien montré Gilles Philippe, en ouverture d'un numéro de Langue française sur « l'ancrage énonciatif des récits de fiction ». À la théorie dite communicationnelle, illustrée par les travaux de narratologie de Gérard Genette, qui suppose la présence d'un narrateur dans tout récit à la troisième personne, un narrateur dont les traces peuvent être effacées, s'oppose une tradition théorique, notamment défendue par Ann Banfield, selon laquelle il existe des récits sans narrateur, sans locuteur. Ceci a bien entendu des conséquences sur l'interprétation du discours indirect libre. Dans le second cas, seule une interprétation monologique du discours indirect libre est possible : il renvoie à la seule énonciation du personnage. Or, pour moi, la spécificité du discours indirect libre par rapport au discours direct est bien sa polyphonie. Discours « hybride », « bivocal » dit Bakhtine, le discours indirect libre participe d'un continuum qui est la polyphonie du récit.

Cette discussion à propos de la présence d'un narrateur ne se pose pas pour Madame Bovary, puisque le narrateur manifeste explicitement sa présence et la responsabilité de son énonciation dans le texte à plusieurs reprises, dès le « nous » initial, et plus encore dans les brouillons et scénarios de l'œuvre. Mais cette présence s'efface ensuite plus ou moins au profit d'une prose empathique qui se projette dans l'énonciation des personnages. La polyphonie linguistique au sens qu'elle prend dans les travaux d'Oswald Ducrot, mais aussi le dialogisme au sens bakhtinien d'une traversée des discours par l'interdiscours et d'une hétérogénéité constitutive du langage, sont une des clés du principe d'impersonnalité flaubertienne. [End Page 713]

Je voudrais revenir sur la polyphonie linguistique dans la prose de Madame Bovary, qui a été déjà abordée par Oswald Ducrot et par le cercle des polyphonistes scandinaves, à la lumière de l'étude génétique de l'œuvre. Le classement des brouillons a été facilité par la thèse de Marie Durel. La lecture des brouillons nous permet en effet d'éclairer les transformations stylistiques de la prose, notamment les effets de voix, qui marquent une subjectivation du récit. Ce terme me paraît préférable à celui de subjectivité qui pourrait renvoyer à une psychologie dont la prose de Flaubert travaille à se défaire. Je retiendrai deux composantes de ces effets de voix dans le récit : certains usages du « mais » de réfutation, certains emplois du passé simple.

Mais

Le premier exemple que nous proposons a été commenté à plusieurs reprises par Ducrot, et plusieurs linguistes. Mais les brouillons permettent de compléter et de rouvrir l'interprétation. Nous donnons d'abord le texte publié, puis les différents états du premier passage retenu, dans l'ordre chronologique de rédaction1 .

1

Le bourg était endormi. Les piliers des halles allongeaient de grandes ombres. La terre était toute grise, comme par une nuit d'été.

Mais, la maison du médecin se trouvant à cinquante pas de l'auberge, il fallut presque aussitôt se souhaiter le bonsoir, et la compagnie se dispersa.

Emma, dès le vestibule […] .

(II, 2, édition de Jacques Neefs [Paris : Le Livre de Poche, 1999] 167)

a. Le bourg était endormi. Il était dix heures du soir environ. La lune brillait — & les gds piliers des halles sous leur gd toit vides désertes allongeaient par terre sur la place <<obliquement de côté>> leurs grandes ombres carrées. Toutes les maisons étaient noires <endormies>. La terre était sèche de la place ferme sous les pieds <pas> était toute grise comme par une nuit d'été car le temps avait été sec <âpre>, on était aux premiers jours d'avril. — un...

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