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Les Illustres Françaises: Un nouvel art du roman à l'aube du XVme SiècleJacques Cormier Pour tous ceux qui ont eu le bonheur de suivre l'émergence progressive de l'œuvre de Robert Challe, l'importance des Illustres Françaises1 est une évidence. S'appuyant sur les remarques fécondes que Frédéric Deloffre avait multipliées dans la préface de son édition de 1959, Henri Coulet affirmait , dès 1967, que «dans l'ensemble aucune œuvre réaliste jusqu'alors n'avait été aussi solidement construite, aucune n'avait fait paraître cette vérité intéressante et étrange des caractères, cette vivacité des dialogues, cette netteté sobre et signifiante des indications d'heure, d'atmosphère, d'attitudes, cette intensité dramatique des scènes, cette utilisation des récits au développement de l'action».2 Il indiquait dans les pages qu'il consacrait à Challe un certain nombre de perspectives originales que les chercheurs allaient explorer ultérieurement.3 En dépit d'un accueil très favorable des spécialistes, la diffusion de ce roman était restée relativement confidentielle. Il restait à convaincre le grand public ou les sceptiques, ceux qui préfèrent imaginer que tout a déjà été dit sur les productions littéraires du xviir5 siècle. Il fallait qu'ils 1 Robert Challe, Les Illustres Françaises, éd. Frédéric Deloffre et Jacques Cormier (Genève: Droz, 1991). Les références au texte renvoient à cette édition. 2 Henri Coulet, Le Romanfrançaisjusqu'à la Révolution (Paris: Armand Colin, 1967), pp. 310-15. 3 Voir la bibliographie des études consacrées aux Illustres Françaises (pp. 684-98); en particulier le numéro spécial de la Revue d'histoire littéraire de la France consacié à Robert Challe en 1979. Voir aussi Leçons sur ((Les Illustres Françaises)) de Robert Challe, textes édités par Geneviève Artigas-Menant et Jacques Popin (Paris: Champion-Slatkine, 1993). EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 8, Number 1, October 1995 2 eighteenth-century fiction sachent que Les Illustres Françaises sont l'un des plus beaux romans de cette époque, et l'un des plus originaux sur le plan de l'organisation de la matière romanesque. L'inscription des Illustres Françaises au programme des agrégations de lettres françaises en 1992-93 fut pour beaucoup une révélation, l'occasion de découvrir un chef-d'œuvre inconnu: on croyait avoir épuisé le champ des «grands» auteurs, et voilà que de nouvelles recherches, une évolution de la sensibilité, remettaient en question l'échelle des valeurs établies, bouleversaient la hiérarchie des œuvres. Les futurs historiens de la littérature devront revoir leur jugement.4 Si nous évoquons le plaisir de la lecture c'est que Les Illustres Françaises présentent quelques qualités rares susceptibles de séduire un lecteur cultivé. Au seuil de son roman, Challe a placé une préface qui constitue une sorte de Défense et illustration d'un nouvel art romanesque. Texte liminaire significatif: le romancier y justifie sa technique, y présente quelques-uns de ses procédés romanesques, y passe avec son lecteur un pacte explicite. Anonyme mais présent dans cette captatio benevolentiae, Challe nous parle, sa voix nous parvient directement, soulignée par des pronoms personnels et des adjectifs possessifs, et par une volonté clairement affirmée de se démarquer de ses prédécesseurs: Presque tous les romans ne tendent qu'à faire voir par des fictions, que la vertu est toujours persécutée, mais qu'enfin elle triomphe de ses ennemis. [...] Mon roman et mes histoires, comme on voudra les appeler, tendent à une morale plus naturelle, puisque par des faits certains on y voit établi une partie du commerce de la vie. (pp. 1-2) Dans le reste du roman, une fois le lecteur plongé dans le récit, le narrateur s'abstrait en tant qu'intermédiaire; il s'identifie totalement à ses personnages et feint de n'en savoir pas plus qu'eux. Il se contente de les mettre en situation au centre de Paris, de planter un décor, de croquer...

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