Annales. Histoire, Sciences sociales (French Edition)

Fabien Théofilakis consacre aux prisonniers allemands en captivité française au sortir de la Seconde Guerre mondiale une étude remarquable, destinée à s'imposer comme une référence incontournable sur un sujet aussi important que méconnu. Le sujet est important, car ce sont près d'un million de prisonniers allemands qui ont été détenus en France entre 1944 et 1949 – une expérience qui a notablement contribué à la reconstruction et au redressement économique du pays et qui a, plus largement, marqué de son empreinte les sociétés françaises et allemandes. Le sujet est méconnu, car l'expérience des prisonniers allemands en France n'a pendant longtemps que peu retenu l'attention des historiens¹, un oubli historiographique qui s'inscrivait dans un phénomène plus ancien d'occultation mémorielle. Comme le montre bien l'auteur en introduction, le sort des prisonniers allemands détenus dans l'Hexagone s'est trouvé après coup relégué au second plan des mémoires, occulté, en France, par le grand récit entourant la réconciliation franco-allemande et, en RFA, par la focalisation sur le sort des prisonniers en Urss, d'autant plus forte qu'elle s'insérait dans le contexte de la guerre froide.

Le travail de F. Théofilakis vient donc combler une importante lacune historiographique. Issu d'une thèse de doctorat en histoire contemporaine primée à quatre reprises, l'ouvrage se distingue autant par l'ampleur impressionnante du travail documentaire réalisé par l'auteur que par la rigueur méthodologique et la maîtrise formelle dont il fait preuve. Il s'appuie sur un corpus de sources imposant, aussi bien par le volume de la documentation amassée que par sa diversité. La consultation de fonds d'archives situés dans cinq pays et qui renvoient aussi bien à des institutions étatiques qu'à des acteurs issus de la société civile (institutions ecclésiastiques, organismes caritatifs), à l'échelon international comme national et local, donne au travail de l'auteur un caractère quasi exhaustif. Ce matériau considérable est complété par une exploitation réussie de sources imprimées et audiovisuelles – une étude détaillée de la presse française comme allemande fournit par exemple le support à une fine analyse de la fabrication et de l'évolution des opinions publiques dans leur rapport aux prisonniers. Enfin, l'enquête est enrichie par le recours à l'histoire orale, les entretiens que l'auteur a réalisés auprès de plusieurs dizaines de témoins, en Allemagne et en France, lui permettant d'approcher – de façon nécessairement imparfaite, mais néanmoins particulièrement louable – la dimension humaine de l'histoire de la captivité.

La réflexion qui se déploie sur la base de ce large corpus documentaire se distingue par sa grande richesse problématique et par la multiplicité des directions explorées. Tout au long de son propos, l'auteur parcourt l'ensemble des différentes échelles de l'analyse historique, tout en montrant leur interdépendance – il s'inscrit ainsi aussi bien dans une histoire des relations internationales, où le sort des prisonniers de guerre constitue un enjeu de transactions au sommet entre puissances, que dans une micro-histoire qui tente de reconstituer le quotidien des acteurs sur le terrain, simples soldats allemands confrontés à la captivité ou citoyens français ordinaires mis en présence de prisonniers dans leur environnement immédiat. Surtout, l'auteur construit la captivité comme un objet aux multiples facettes, dont l'étude permet d'explorer et d'articuler des questionnements qui se rapportent à trois principaux champs historiographiques.

L'histoire des prisonniers de guerre allemands en France telle que la retrace F. Théofilakis est d'abord politique. L'auteur consacre ainsi toute la première partie de son d...