LE CENT-ONZIÈME SALON DE PARIS

ET

LE CENT-VINGT-CINQUIÈME SALON DE LONDRES1

(suite)

XIV

Sous ce titre : Oubli, Mme Jeanne Choppard-Mazeau
n'a point peint autre chose qu'un portrait, et ce portrait
est incontestablement de beaucoup le meilleur qu'aient
exposé, cette année, nos artistes. Cela est très distingué
d'arrangement, largement brossé, bien accentué et d'une
belle tonalité. C'est une œuvre simple et forte. Le manque
de simplicité est au contraire le défaut du second tableau
de M™ Choppard-Mazeau; sa vieille lectrice de la Bible
pose par trop; l'ensemble d'ailleurs est d'une exécution
inférieure à l'harmonieuse et franche facture d'Oubli.

XV

Il n'y avait pas lieu de décerner une médaille d'hon-
neur. On l'a néanmoins attribuée à M. Ferdinand Roybet,
probablement parce qu'il la méritait haut la main l'an
dernier.

D'aucuns s'étaient mis en tête d'accorder cette distinc-
tion à M. Benjamin-Constant, ce qui était « un comble ».
Ils s'y sont employés de leur mieux, mais leur échec fut
éclatant et n'est point pour nous déplaire.

Puisque médaille d'honneur'il y a, il est heureux qu'on
l'ait enfin donnée à un Outsider, ainsi que diraient les
Anglais. C'est au moins un bris effectué en pleines tradi-
tions routinières que certaines gens se flattaient de main-
tenir immortelles.

Ces traditions-là sont celles auxquelles l'art français
doit, pour son plus grand malheur, l'enfantement dMr-
thémise et de Surprise, par M. Alexis Axilette — Prix de
Rome; — le Dernier Cri du Christ, par M. Jean Brunet ;
la Tentation du Christ, par M. Paul Buffet; Mort de
Roland, par M. Gaston Bussière; Hélène, par M. Louis
Chalon; Et voici son commandement, etc., par M. Henri
Danger— Prix de Rome; — la Loge de M. Mounet-Sully
au Théâtre-Français, avant une représentation d'« Œdipe
roi », par M. Louis-Edouard Fournier — Prix de Rome!

i. Voir l'Art, 19° année, tome I", pages 200, 233 et 232, et
tome II, page 2 3.

Tome LV.

— Pauvre Paria ! par M. Pierre Fritel ; A u pays des fleurs.
par M. Franc Lamy, dont une toile ejusdem farinœ fut
envoyée au Musée de Cannes parle gouvernement, afin de
donner aux nombreux hôtes étrangers de cette ville la
plus pauvre idée possible de l'Ecole française; Fleurs de
la Villa Médicis, destinées par M. Charles Lebayle —
Prix de Rome — à encombrer le Musée fondé par Mme de
Caen au palais de l'Institut; Institution de l'Université de
Montpellier en 128g par le pape Nicolas IV, par M. Le-
matte — Prix de Rome ; ■— Jeunes Filles aux lapins et
Aux Premiers Ages, par M. Diogène-Ulysse-Napoléon
Maillart, — Prix de Rome ; Danton embrasse le corps de
sa femme,par M. J. N. Sylvestre; République, par M. Thi-
rion; Artémis, par M. Joseph Wencker, Prix de Rome.

Après le très grand et si légitime succès de son Por-
trait de Mllù Juana Romani, l'an dernier, M. Roybet eût
dû s'abstenir d'exposer, cette fois, son Charles le Témé-
raire à Nesles, dont on connaissait depuis longtemps les
sérieux défauts. On n'ignorait pas combien la composi-
tion est décousue, ni l'emmêlement de certaines figures, ni
l'absurdité de nus uniquement voulus pour faire montre
de virtuosité de brosse, ni l'étrange situation de l'envahis-
seur placé de façon à recevoir sur la tête plusieurs corps
de femmes ressemblant par trop à des paquets d'étoffes
précipités dans le vide, ni la belle harmonie du fond de
l'église compromise par les colonnes du premier plan, à
gauche, colonnes ressemblant, à s'y méprendre, à d'étin-
celants tuyaux d'orgue.

Si nombreux que fussent les morceaux bien peints,
l'ensemble demeurait tapageur et papillotant.

Les Propos galants ont meilleur aspect général, mais
sont déparés par les figures de l'arrière-plan, à droite, qui
sont loin d'être en proportion, par le ton vert très cru et
anticoloriste du manteau du trompette et par la facture
générale dont l'habileté ne sauve pas l'absence de dis-
tinction.

Il y a loin de tout cela à la maîtrise du Portrait de
Mllc Juana Romani de 1892; aux yeux des connaisseurs,
c'est à ce dernier, à ce dernier seul, que M. Roybet doit
légitimement la médaille d'honneur.

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