Étude de cas
Les risques d’une consommation addictive d’argile ou de kaolin chez la femme enceinte : à propos de 3 casRisks of addictive clay or kaolin consumption in pregnant women: Three cases reports

https://doi.org/10.1016/j.toxac.2022.12.004Get rights and content

Résumé

Dans la littérature, une consommation chronique de kaolin expose potentiellement la femme enceinte à deux risques : une anémie ferriprive/carence en micronutriments et une intoxication par les métaux lourds. Les conséquences pour le fœtus et le nouveau-né sont encore très peu documentées dans la littérature. Nous rapportons donc ici les cas de 3 femmes enceintes ayant consommé du silicate d’aluminium, sous forme de kaolin ou de coomba, par pratique culturelle et syndrome de Pica. Le premier cas a été documenté par une analyse qualitative et quantitative d’un échantillon du kaolin consommé. L’analyse quantitative du kaolin consommé par la patiente 1 a retrouvé une teneur très élevée en aluminium et dans un second temps une teneur élevée en cuivre, vadanium et plomb. Seule une patiente sur les 3 a présenté une anémie ferriprive avec une plombémie normale. Les autres n’ont eu aucunes répercussions. Le centre antipoison a suivi rétrospectivement ces femmes enceintes pour connaître le déroulement de l’accouchement et l’absence de complication chez le nouveau-né. Ces suivis renseignaient des accouchements sans complication et un poids de l’enfant normal à la naissance. Malgré la teneur très importante en aluminium de l’échantillon de la patiente 1, le risque de survenue d’effets chroniques liés à l’aluminium reste minime compte-tenu du faible dépassement des valeurs de référence sanitaires d’après l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Summary

In the literature, a chronic consumption of kaolin potentially exposes pregnant women to two risks: iron deficiency anemia/micronutrient deficiency and heavy metal poisoning. The consequences for the fetus and the newborn are still very little documented in the literature. We therefore report the cases of 3 pregnant women who consumed aluminum silicate, in the form of kaolin or coomba, as a cultural practice and Pica syndrome. The first case was documented by qualitative and quantitative analysis of a sample of the consumed kaolin. Quantitative analysis of the kaolin consumed by patient 1 showed a very high content of aluminium and a high content of copper, vadanium and lead. Only one patient out of the 3 presented an iron deficiency anemia with a normal blood lead level. The others had no repercussions. The Poison Control Center retrospectively followed up on these pregnant women to determine the progress of the delivery and the absence of complications in the newborn. These follow-ups indicated uncomplicated deliveries and normal birth weight. Despite the very high aluminum content of patient 1's sample, the risk of occurrence of chronic effects related to aluminum remains minimal given the low exceedance of the health reference values according to the European Food Safety Authority (EFSA).

Introduction

La consommation de kaolin est une pratique culturelle très répandue dans certains pays d’Afrique notamment par habitude culturelle comme coupe-faim, comme antiacide ou antiémétique [1], [2]. Le kaolin est une argile blanche utilisée pour la fabrication de la porcelaine, dans l’industrie du papier et de la cosmétique [3]. Le kaolin est composé principalement de kaolinite (Al2Si2O5(OH)4), c’est-à-dire de silicate d’aluminium hydraté [3]. En Afrique de l’ouest, il est utilisé dans les peintures corporelles et il est également traditionnellement consommé par voie orale. Il est très prisé des femmes et des enfants [1]. Son usage chronique dans ces pays est lié à l’état physiologique de la grossesse poussant les femmes enceintes à consommer le kaolin pour pallier aux nausées, aux diarrhées, aux douleurs abdominales et d’autres symptômes de la grossesse et, dans certains cas, pour apaiser leur faim [4]. D’après la littérature, la prévalence de consommation de kaolin chez les femmes enceintes africaines serait aux alentours de 35 % concernant les migrants en France métropolitaine [2].

Actuellement, dans la littérature, il existe des cas rapportés d’anémie arégénérative microcytaire ferriprive dans ce contexte [1]. Plusieurs études suggèrent un risque potentiel d’intoxication par les métaux lourds puisque le kaolin contiendrait, en plus de l’aluminium, des quantités variables d’arsenic, de plomb, de bore et de nickel [1], [4]. Il diminuerait également l’absorption des vitamines, des micronutriments et des médicaments. Indirectement, Allen et al. démontrent que le risque de naissance prématurée et de faible poids à la naissance est augmenté chez les femmes enceintes anémiées hors consommation de kaolin [5]. Il pourrait enfin y avoir un risque infectieux lié à d’éventuels contaminants dans l’argile [6]. Ces risques et les conséquences sur le fœtus sont encore très peu documentés dans la littérature.

Nous rapportons ici trois cas de femmes enceintes consommant du silicate d’aluminium sous forme de kaolin ou de coomba, que ce soit par pratique culturelle ou syndrome de Pica, et dont un cas a bénéficié d’une analyse qualitative et quantitative d’un échantillon du kaolin consommé.

Section snippets

Source des données

Les cas d’intoxication à l’argile ont été extraits de la Base nationale des cas d’intoxication (BNCI). Seuls les cas de consommation de kaolin et de coomba avérée chez la femme enceinte signalés au Centre antipoison et de toxicovigilance d’Angers et survenus entre 1999 et 2021, ont été inclus.

Pour chaque cas inclus, différents éléments ont été analysés : l’âge, le sexe, les antécédents, le poids, l’agent ingéré et si présence d’un co-ingestion d’autres agents, les caractéristiques de

Patiente 1

Une femme de 22 ans, d’origine camerounaise, sans antécédents, enceinte de 26 semaines d’aménorrhée, contacte le centre antipoison car elle consomme depuis une semaine un « petit caillou » de kaolin (silicate d’aluminium) une fois par jour, dans le cadre d’une addiction et par habitude culturelle, et s’inquiète pour sa grossesse. La patiente n’avait présenté aucun symptôme pendant cette consommation. Le kaolin a été acheté dans une boutique africaine localisée en France et qui importe du kaolin

Discussion

La prévalence des cas d’ingestion de kaolin chez des femmes enceintes est très faible en population générale [9]. Seuls 2 cas concernant une consommation chronique de kaolin chez la femme enceinte ont été retrouvés dans les données du centre antipoison d’Angers sur une période de 22 ans, pour 5 cas au total d’ingestion volontaire d’argile chronique hors grossesse. Il s’agit d’une pratique essentiellement répandue chez des migrantes non caucasiennes (asiatiques au Royaume-Uni et africaines en

Conclusion

La consommation de kaolin est une pratique culturelle très répandue dans certains pays d’Afrique mais dont la prévalence serait faible en population générale [9]. Le risque principal est la survenue d’une anémie, avec les conséquences attendues de l’anémie sur la grossesse et indirectement le nouveau-né. Encore peu de cas rapportés dans la littérature et d’études expérimentales retrouvent une anémie ferriprive suite à l’ingestion de kaolin chez la femme enceinte et le risque sur le nouveau-né

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (15)

There are more references available in the full text version of this article.

Cited by (0)

View full text