Article originalLe concept d’injustice épistémique en psychiatrie : quels apports, de la clinique à la classification des troubles mentaux ?Epistemic injustice: Which impact in psychiatry, from clinical practice to mental disorders classification?
Introduction
En 2004, c’est un Spitzer lapidaire qui répond à un article étudiant la participation de patients à la révision du DSM : « Cher lecteur, c’est un non-sens politiquement correct » [19]. Pourtant, la prise en compte de l’avis des patients fait l’objet de nombreuses réflexions, comme en témoignent la promotion d’une médecine « centrée sur le patient », l’émergence des « patients-experts » ou le rôle croissant des associations d’usagers dans la réflexion médicale [16]. Cette évolution répond à une demande de l’époque, certes, mais aussi à un paradigme émergent chez les professionnels de santé : les patients et leurs proches peuvent nous aider à améliorer nos connaissances et nos pratiques [20]. Mais il est compliqué d’identifier ce savoir expérientiel, d’y accéder et de l’articuler avec les connaissances médicales. En ce sens, le concept d’injustice épistémique pourrait apporter une clé de compréhension utile. Il désigne une classe spécifique de préjudices, dans laquelle la capacité d’une personne à se positionner comme sujet épistémique, c’est-à-dire producteur d’un savoir, est involontairement déniée ou minorée. Autrement dit, il explore la capacité des personnes à produire un savoir, et la capacité de son interlocuteur à le prendre en compte. Quels pourraient être alors les apports du concept d’injustice épistémique dans la clinique psychiatrique et dans la classification des troubles mentaux ? Dans un premier temps, nous définirons les injustices épistémiques, puis nous étudierons l’application de ce concept à la santé. Enfin, nous nous intéresserons plus spécifiquement à son intérêt en psychiatrie.
Section snippets
Injustices épistémiques : quelques définitions
Le concept d’injustice épistémique a été développé par la philosophe anglaise Miranda Fricker en 2007. Il s’agissait de désigner une classe spécifique de préjudices, dans laquelle la capacité d’une personne à se positionner comme producteur d’un savoir est déniée ou minorée. Ces injustices concernent donc « nos pratiques quotidiennes les plus élémentaires : transmettre le savoir aux autres en leur parlant, et donner du sens à nos propres expériences sociales » [11]. Le développement de cette
Injustices épistémiques en santé
Nous étudierons ici les injustices épistémiques qu’on peut retrouver en santé, en tentant d’en comprendre les facteurs favorisants. Précisons deux points : nous évoquerons ici la position épistémique des patients uniquement dans le domaine médical. Deuxièmement, insistons sur l’absence de caractère universel de ces injustices : il n’est pas question d’affirmer que les pratiques de santé sont intrinsèquement injustes d’un point de vue épistémique, mais de dégager certaines variables qui peuvent
Les patients en psychiatrie, une population à risque d’injustice épistémique
Nous avons souligné que les injustices testimoniales reposent sur l’existence de préjugés négatifs, et les injustices herméneutiques sur un manque de ressources interprétatives permettant de restituer l’expérience du sujet. Il semblerait que la population prise en charge en psychiatrie soit plus vulnérable aux injustices épistémiques [10]. Les préjugés négatifs sur les troubles psychiatriques sont généralement plus répandus et plus ancrés que ceux portant sur les autres pathologies. En effet,
Conclusion
Le concept d’injustice épistémique a été développé dans le cadre de l’étude des inégalités, et est aujourd’hui utilisé dans la lutte contre ces inégalités. Appliqué à la psychiatrie, il permet de mettre en exergue la vulnérabilité épistémique des personnes souffrant d’un trouble psychique. À travers ce travail, nous suggérons que ce concept peut aussi être un outil vers une approche intégrative, articulant les savoirs expérientiels des usagers avec le savoir médical. Plus précisément, il permet
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références (23)
- et al.
Epistemic struggles: the role of advocacy in promoting epistemic justice and rights in mental health
Soc Sci Med 1982
(2018) Injustices épistémiques : comment les comprendre, comment les réduire ? Colloque intercongrès du Groupe de travail 21 – Diversité des savoirs
(2019)- et al.
Synthèse et traduction des articles relatifs au changement de nom et/ou de concept. Document de travail
(2020) - et al.
Epistemic injustice in healthcare encounters: evidence from chronic fatigue syndrome
J Med Ethics
(2017) On the distinction between disease and illness
Philos Public Aff
(1975)Epistemic Injustice and Psychiatric Classification Philos Sci
(2019)Striking the balance with epistemic injustice in healthcare: the case of chronic fatigue syndrome/myalgic encephalomyelitis
Med Health Care Philos
(2020)Phenomenology as a resource for patients
J Med Philos
(2012)- et al.
Epistemic injustice in healthcare: a philosophial analysis
Med Health Care Philos
(2014) - et al.
Controversy and debate series on core outcome sets. Paper 1: improving the generalizability and credibility of core outcome sets (COS) by a large and international participation of diverse stakeholders
J Clin Epidemiol
(2020)