Mémoire
Phénoménologie expérientielle de l’écoute musicale en psychiatrieExperiential phenomenology of music therapy in psychiatry

https://doi.org/10.1016/j.amp.2013.11.001Get rights and content

Résumé

Dans cet article, nous décrivons de manière rétrospective le vécu de patients atteints de schizophrénie ou troubles de l’humeur lors d’un atelier d’écoute musicale hebdomadaire s’étant tenu pendant trois ans. Ces patients avaient pour seule consigne de se mettre dans la plus grande disponibilité d’écoute possible. En choisissant de nous placer dans une perspective phénoménologique (requérant la suspension de tout cadre théorique préalable), nous rapportons leur comportement et leurs dires. Chez un nombre plus restreint de sujets, lors d’interviews basées sur la méthode de l’entretien d’explicitation, nous avons eu accès à la description de leur rapport à la musique. L’importance primordiale de la temporalité, au cœur même de l’expérience musicale, comme ouvrant la voie vers un espace commun avec autrui, apparaît alors ; elle est ensuite discutée à la lumière des écrits de Schutz, de Kimura et d’autres phénoménologues.

Abstract

Music is a universal activity in human beings. In patients with mental diseases, like in non-diseased subjects, music belongs to the daily experience, whatever their disease. In schizophrenia, we have observed that patients listen to music very often and with a high loudness. Currently music therapy is accepted as a powerful additional care in many neurologic and psychiatric diseases but we don’t know how does the music “works” to improve patient's symptomatology. In our psychiatry department, we have proposed during three years, a group specifically devoted to music listening. The patients were in a symptomatic phase of their disease (schizophrenia or mood disorders). Each week, about 20 patients came to listen to various kinds of music (songs, pop music, classical music, Japanese music…). The unique instruction was to listen to the music pieces and to talk only about them. Frequently the piece of music was rapidly introduced by the group leader (a physician playing music) about style, history and instruments. We have constructed this group in a phenomenological (husserlian) approach: this means that we used no theoretical framework (as cognitive or psychoanalytical one), and we choose to make pure descriptions of the patients’ experiences, by suspending any preconception. During these 3 years, we have collected patients’ behavioural data and their spontaneous claims at the end of each meeting. Then, using semi-directive interviews as a variation of Vermersch's eliciting interview, we have collected detailed information about the nature and content of the musical experience in a sub-group of 7 patients. The most striking result of this open study is that music proposed to the patients “changes their time”. They frequently forget their disease and they feel better during about one day. These temporality modifications allow them to open a new common space for dialogue with other people. We discuss these temporality modifications in the light of philosophers such as Schutz or Kimura.

Introduction

Différentes études randomisées soulignent l’intérêt d’une musicothérapie comme traitement adjuvant dans la schizophrénie [13], [20], [22] ou dans d’autres pathologies mentales comme la dépression [5] ou la maladie d’Alzheimer [17]. D’une manière générale, il s’agit de musicothérapie active avec jeu d’ensemble sur instruments, bien qu’il existe également une forme de musicothérapie dite réceptive. Mais depuis le développement de la musicothérapie par Jacques Jost dans les années 1950 et celui des formations en techniques dites psychomusicales, son utilisation reste finalement marginale. Pourtant, les dernières années semblent voir naître un regain et même une véritable prise de conscience de l’intérêt de la musique dans le soin [7]. Il est possible que l’engouement récent de la littérature neuroscientifique pour la compréhension des mécanismes cognitifs sous-tendant la possibilité de faire ou d’écouter de la musique n’y soit pas étranger.

Il reste cependant difficile de comprendre comment la musique pourrait agir sur les patients. Les méthodes d’imagerie sont, en l’état, trop réductionnistes ou complexes à mettre en œuvre pour la vérifier [24], et leur approche analytique rend difficilement compte des processus holistes qui sous-tendent l’effet de la musique chez les sujets sains ou atteints de pathologies. La neuropsychologie ne permet pas non plus de proposer des tests ou des théories qui permettraient de mieux comprendre ces processus, parce que son approche est majoritairement centrée autour de la recherche de déficits et non sur les processus actifs de la pensée.

Le courant psychodynamique, qui a souvent fondé la proposition de musicothérapie, est sans doute susceptible de nous éclairer sur les phénomènes de groupes et sur un certain nombre de points d’interprétation. Il s’intéresse notamment aux liens entre la structuration de l’inconscient, la musique et l’organisation du rêve [11]. Mais ce n’est pas pour cette approche que nous avons opté.

Voulant aborder la nature même de l’expérience d’écoute musicale, il nous a semblé que la phénoménologie, dont la méthode de réduction requiert la suspension de tout cadre théorique préalable pour décrire comment apparaissent les phénomènes [8], constituait l’approche la plus à même de nous ouvrir des perspectives interprétatives nouvelles. Ce travail s’enracine donc à la fois dans la psychiatrie phénoménologique [14], [21] et dans une phénoménologie pratique qu’est la phénoménologie expérientielle, développée sur le plan théorique par Depraz et al. [4]1.

Dans ce travail, nous avons voulu décrire rétrospectivement et dans une perspective phénoménologique ce qu’il en était de l’expérience des patients (et de la nôtre) au cours d’un atelier d’écoute musicale, réunissant hebdomadairement et depuis plus de trois ans un groupe de patients de notre pôle de psychiatrie.

Section snippets

Méthode

Dans la logique de la tradition phénoménologique, nous avons constitué, sans aucune référence aux méthodes de musicothérapie ou aux concepts des sciences cognitives, et donc de la manière la plus athéorique possible, un groupe d’écoute musicale hebdomadaire au sein du pôle de psychiatrie universitaire de Marseille.

Aucune hypothèse de travail n’a été formulée. L’animateur, médecin neurophysiologiste, musicien amateur de bon niveau, ignore, sauf exception fortuite, la pathologie et le traitement

Données observationnelles

Les patients sont, pour beaucoup d’entre eux, fidèles à l’atelier, dans la mesure où ils sont hospitalisés ou en hôpital de jour. Cette fidélité est remarquable pour dix patients qui se sont véritablement approprié l’activité et qui s’y retrouvent régulièrement chaque semaine, depuis plus de trois ans. Les patients sont généralement présents devant la porte de la salle, parfois plus d’une heure avant le début de l’atelier, alors que celui-ci débute avec ponctualité.

Il est tout à fait étonnant

Discussion

Cette étude essentiellement observationnelle, et donc rétrospective, ne relève pas d’une méthodologie expérimentale classique : l’absence assumée d’hypothèses, la suspension du jugement propre à la méthode phénoménologique, l’absence de tout plan expérimental, et l’importance de la place faite à l’observation ouverte des attitudes ainsi qu’à l’expression en première personne des affects et des vécus la rapprochent plutôt de la notion de cas cliniques multiples. En ce sens, notre travail

Conclusion

Ainsi, dès lors que nous refusons, dans la démarche phénoménologique, des explications psychologiques ou scientifiques, nous sommes amenés à porter notre attention sur ce qui apparaît. Les liens de similitude ou les associations intuitives entre des comportements, des paroles et des textes philosophiques ne construisent pas une démarche scientifique d’explication, mais une démarche de compréhension, de juxtaposition des faits dans la complexité de leur apparaître. Cette démarche extensive

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements

Nous remercions R. Cassano, J. Cassin, et les infirmières de l’hôpital de jour pour leur participation et leur aide dans la réalisation de l’atelier.

Références (24)

  • B. Kimura

    L’entre : une approche phénoménologique de la schizophrénie

    (2000)
  • A. Lavest

    Quels sont les mécanismes communs à la perception musicale et à la formation du rêve ?

  • Cited by (5)

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