Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique
MémoirePhénoménologie expérientielle de l’écoute musicale en psychiatrieExperiential phenomenology of music therapy in psychiatry
Introduction
Différentes études randomisées soulignent l’intérêt d’une musicothérapie comme traitement adjuvant dans la schizophrénie [13], [20], [22] ou dans d’autres pathologies mentales comme la dépression [5] ou la maladie d’Alzheimer [17]. D’une manière générale, il s’agit de musicothérapie active avec jeu d’ensemble sur instruments, bien qu’il existe également une forme de musicothérapie dite réceptive. Mais depuis le développement de la musicothérapie par Jacques Jost dans les années 1950 et celui des formations en techniques dites psychomusicales, son utilisation reste finalement marginale. Pourtant, les dernières années semblent voir naître un regain et même une véritable prise de conscience de l’intérêt de la musique dans le soin [7]. Il est possible que l’engouement récent de la littérature neuroscientifique pour la compréhension des mécanismes cognitifs sous-tendant la possibilité de faire ou d’écouter de la musique n’y soit pas étranger.
Il reste cependant difficile de comprendre comment la musique pourrait agir sur les patients. Les méthodes d’imagerie sont, en l’état, trop réductionnistes ou complexes à mettre en œuvre pour la vérifier [24], et leur approche analytique rend difficilement compte des processus holistes qui sous-tendent l’effet de la musique chez les sujets sains ou atteints de pathologies. La neuropsychologie ne permet pas non plus de proposer des tests ou des théories qui permettraient de mieux comprendre ces processus, parce que son approche est majoritairement centrée autour de la recherche de déficits et non sur les processus actifs de la pensée.
Le courant psychodynamique, qui a souvent fondé la proposition de musicothérapie, est sans doute susceptible de nous éclairer sur les phénomènes de groupes et sur un certain nombre de points d’interprétation. Il s’intéresse notamment aux liens entre la structuration de l’inconscient, la musique et l’organisation du rêve [11]. Mais ce n’est pas pour cette approche que nous avons opté.
Voulant aborder la nature même de l’expérience d’écoute musicale, il nous a semblé que la phénoménologie, dont la méthode de réduction requiert la suspension de tout cadre théorique préalable pour décrire comment apparaissent les phénomènes [8], constituait l’approche la plus à même de nous ouvrir des perspectives interprétatives nouvelles. Ce travail s’enracine donc à la fois dans la psychiatrie phénoménologique [14], [21] et dans une phénoménologie pratique qu’est la phénoménologie expérientielle, développée sur le plan théorique par Depraz et al. [4]1.
Dans ce travail, nous avons voulu décrire rétrospectivement et dans une perspective phénoménologique ce qu’il en était de l’expérience des patients (et de la nôtre) au cours d’un atelier d’écoute musicale, réunissant hebdomadairement et depuis plus de trois ans un groupe de patients de notre pôle de psychiatrie.
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Méthode
Dans la logique de la tradition phénoménologique, nous avons constitué, sans aucune référence aux méthodes de musicothérapie ou aux concepts des sciences cognitives, et donc de la manière la plus athéorique possible, un groupe d’écoute musicale hebdomadaire au sein du pôle de psychiatrie universitaire de Marseille.
Aucune hypothèse de travail n’a été formulée. L’animateur, médecin neurophysiologiste, musicien amateur de bon niveau, ignore, sauf exception fortuite, la pathologie et le traitement
Données observationnelles
Les patients sont, pour beaucoup d’entre eux, fidèles à l’atelier, dans la mesure où ils sont hospitalisés ou en hôpital de jour. Cette fidélité est remarquable pour dix patients qui se sont véritablement approprié l’activité et qui s’y retrouvent régulièrement chaque semaine, depuis plus de trois ans. Les patients sont généralement présents devant la porte de la salle, parfois plus d’une heure avant le début de l’atelier, alors que celui-ci débute avec ponctualité.
Il est tout à fait étonnant
Discussion
Cette étude essentiellement observationnelle, et donc rétrospective, ne relève pas d’une méthodologie expérimentale classique : l’absence assumée d’hypothèses, la suspension du jugement propre à la méthode phénoménologique, l’absence de tout plan expérimental, et l’importance de la place faite à l’observation ouverte des attitudes ainsi qu’à l’expression en première personne des affects et des vécus la rapprochent plutôt de la notion de cas cliniques multiples. En ce sens, notre travail
Conclusion
Ainsi, dès lors que nous refusons, dans la démarche phénoménologique, des explications psychologiques ou scientifiques, nous sommes amenés à porter notre attention sur ce qui apparaît. Les liens de similitude ou les associations intuitives entre des comportements, des paroles et des textes philosophiques ne construisent pas une démarche scientifique d’explication, mais une démarche de compréhension, de juxtaposition des faits dans la complexité de leur apparaître. Cette démarche extensive
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements
Nous remercions R. Cassano, J. Cassin, et les infirmières de l’hôpital de jour pour leur participation et leur aide dans la réalisation de l’atelier.
Références (24)
- et al.
L’accès aux vécus préréflexifs. Quelles perspectives pour la médecine en général et la psychiatrie en particulier ?
Ann Med Psychol
(2013) Music therapy's breakthrough act
Lancet Neurol
(2012)- et al.
Music-based memory enhancement in Alzheimer's disease: promise and limitations
Neuropsychol
(2012) Le temps musical
(2001)Dialogues, temps musical, temps social
(2012)- et al.
À l’épreuve de l’expérience : pour une pratique phénoménologique
(2011) - et al.
Individual music therapy for depression: randomised controlled trial
Br J Psychiatry
(2011) Acheminement vers la parole
(1981)Idées directrices pour une phénoménologie
(1985)La musique creuse le temps : de Wagner à Boulez : musique, psychologie, psychanalyse
(2005)
L’entre : une approche phénoménologique de la schizophrénie
Quels sont les mécanismes communs à la perception musicale et à la formation du rêve ?
Cited by (5)
Therapeutic efficacy of Montage Composite Receptif à visée Projective (MCR-P) against depression in psychiatry
2021, Annales Medico-Psychologiques“Letting go” and fluidity of consciousness. Development of a phenomenologically inspired evaluation questionnaire
2021, Annales Medico-PsychologiquesDiscovering the structures of lived experience: Towards a micro-phenomenological analysis method
2019, Phenomenology and the Cognitive SciencesThe narrative effects of classical music in palliative care
2017, Psycho-Oncologie