Article original
Cheminement diagnostique et vécu des patients se pensant atteints de « maladie de Lyme chronique »Pathway to diagnosis and real-life experience of patients believing they are affected by “chronic Lyme disease”

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.04.002Get rights and content

Résumé

Objectifs

La « maladie de Lyme chronique » est un sujet de controverse scientifique et sociétale en Europe comme aux États-Unis. Les objectifs de notre étude ont été d’analyser le cheminement vers le diagnostic de patients pensant en être atteints, et d’en décrire leur vécu.

Patients et méthode

Une étude qualitative a été réalisée auprès de 13 personnes se déclarant atteintes de « maladie de Lyme chronique ». Les entretiens ont été analysés par 2 internes en médecine générale, encadrés par un médecin généraliste diplômé en socio-anthropologie et un infectiologue.

Résultats

Internet et les médias ont joué un rôle majeur pour porter à la connaissance des patients et/ou de leur médecin l’existence et les caractéristiques de la « maladie de Lyme chronique ». Ce diagnostic a été retenu en raison d’éléments considérés comme objectifs (infection chronique par Borrelia, piqûre de tique, sérologie positive, effet bénéfique ou aggravant des antibiotiques). Le long parcours médical des personnes interrogées a été marqué par des conflits fréquents avec le corps médical, liés à un sentiment de non-reconnaissance et d’abandon. Le vécu de leur situation a été rapporté comme très douloureux, lié autant aux souffrances physiques qu’aux conséquences psychologiques de leur situation.

Conclusion

Une meilleure prise en charge diagnostique et thérapeutique des personnes pensant être atteintes de « maladie de Lyme chronique » apparaît indispensable pour limiter leur errance médicale et leur parcours douloureux. Celle-ci pourrait s’inspirer des recommandations émises pour les symptômes médicalement inexpliqués dont la problématique de la « maladie de Lyme chronique » se rapproche en de nombreux points.

Abstract

Objectives

Chronic Lyme disease is a subject of scientific and social controversy in both Europe and the United States. The aim of our study was to analyze the pathway to diagnosis of patients believing they were affected by the disease, and to describe their real-life experience.

Method

A qualitative study was performed with 13 patients declaring themselves to be affected by chronic Lyme disease. Interviews were analyzed by 2 general medical practice interns, supervised by a general practitioner with a diploma in socio-anthropology and an infectious diseases specialist.

Results

Internet and other media played a major role in informing the patients or their doctor about the existence and the characteristics of chronic Lyme disease. The diagnosis was confirmed by features considered objective (chronic infection by Borrelia, tick bite, positive serology, beneficial or worsening effects of antibiotics). The long medical diagnosis and treatment process of those interviewed was marked by a conflicted relationship with the medical profession, caused by a feeling of non-recognition and abandonment. They reported their experience as being very painful, both because of the physical pain and also the psychological consequences of their condition.

Conclusion

Improving the diagnosis and therapeutic management of patients believing themselves to be affected by chronic Lyme disease appears highly necessary both to limit their search for diagnosis and their experience of pain. It could be based on existing guidelines concerning medically unexplained symptoms to which the chronic Lyme disease issue appears quite similar on several points.

Introduction

Ces 25 dernières années ont été marquées en Europe et aux États-Unis par l’émergence de la notion de « maladie de Lyme chronique ». Cette entité est évoquée par des médecins et associations de malades pour expliquer des symptômes subjectifs chroniques très variés (fatigue, arthralgies, troubles neuropsychologiques…), ou certaines pathologies neurodégénératives [1], [2], [3], [4]. De leur côté, les sociétés savantes de maladies infectieuses européennes et américaines relèvent qu’une minorité de patients garde des signes subjectifs plus de 6 mois après une borréliose de Lyme correctement traitée, mais insistent sur le fait qu’il n’existe pas de lien démontré avec une infection active à Borrelia ou toute autre infection [5], [6], [7]. Cette controverse génère des conflits récurrents entre défenseurs et opposants de la notion de « maladie de Lyme chronique » [8], [9], [10].

Les plaintes rapportées par les patients se pensant être atteint de « maladie de Lyme chronique » correspondent à ce qui définit les symptômes médicalement inexpliqués (SMI) [11], [12], [13], [14], [15]. Ceux-ci représentent une problématique fréquente et ancienne, bien connue des internistes, qui a conduit à la définition d’entités comme la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, ou encore l’hypersensibilité électromagnétique [15], [16], [17], [18]. Toutefois, la « maladie de Lyme chronique » s’en différencie par l’ampleur du débat scientifique qu’elle suscite, la puissance des associations de malades qui la défendent, le relais médiatique dont elle bénéficie, et le nombre de patients qui l’évoquent. Pourquoi le diagnostic de « maladie de Lyme chronique » est retenu chez ces patients alors que leurs symptômes ne sont en rien spécifiques de cette entité ? Seules deux études américaines ont analysé le vécu de patients se pensant être atteints de « maladie de Lyme chronique », et aucune n’a explorée cette question [19], [20].

Notre hypothèse a été que la « maladie de Lyme chronique » présente des spécificités (physiopathologie supposée, modalités diagnostiques et médiatisation) qui expliquent que les patients adhèrent à ce diagnostic. Nous avons donc réalisé une étude auprès de patients français pensant être atteints de « maladie de Lyme chronique », avec pour objectif principal de décrire leur cheminement vers ce diagnostic, et les motifs qui les ont conduit à le retenir. L’objectif secondaire a été d’étudier leur vécu de la « maladie de Lyme chronique », en supposant que celui-ci puisse présenter des spécificités par rapport à celui des patients américains étant données les différences socioculturelles entre nos deux pays [19], [20].

Section snippets

Matériel et méthodes

Cette étude a été réalisée selon une méthode qualitative suivant les items de la liste consolidated criteria for reporting qualitative studies (COREQ) [21]. Le protocole a été validé par le Correspondant Informatique et Libertés. Les participants ont été recrutés via une association de malades française, qui a pour objectif d’échanger et de diffuser des informations sur les maladies transmises par les tiques et d’en assurer la prévention. Un appel à participation expliquant l’objet de l’étude a

Données générales

À la suite de l’annonce, 27 réponses par courrier électronique ont été reçues, dont 5 témoignages simples, et 6 ne répondant pas aux critères d’inclusion. La saturation des données a été obtenue après les entretiens réalisés auprès de 13 personnes. Trois volontaires répondant aux critères d’inclusion n’ont donc pas été contactés.

Les caractéristiques des participants inclus sont décrites dans le Tableau 1. Il s’agissait de 9 femmes et 4 hommes, d’âge moyen 45,7 ans. Les entretiens ont été

Discussion

Cette étude qualitative explorant le parcours diagnostique et le vécu de patients pensant être atteints de « maladie de Lyme chronique » est la première avec une perspective socio-anthropologique réalisée en France.

La polémique autour de la « maladie de Lyme chronique » est apparue aux États-Unis au début des années 1990 [22]. La présentation clinique polymorphe de la maladie de Lyme et la capacité de Borrelia à donner des formes chroniques rares, comme l’acrodermatite atrophiante, a conduit

Conclusion

Cette première étude qualitative française portant sur des personnes se pensant atteintes de « maladie de Lyme chronique » montre que cette problématique ressemble en de nombreux points à celles des SMI, et permet de mieux comprendre pourquoi ceux-ci ne sont pas évoqués ou réfutés. Des spécificités dans le vécu de leur situation par rapport aux patients américains ont également été relevées. Mieux connaître ces patients permet d’envisager des pistes pour les prendre en charge de manière adaptée

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Remerciements

FG et ARS ont réalisés les entretiens et analysés les résultats.

ACZ, diplômée en socio-anthropologie, a analysé les résultats.

EF a analysé les résultats et rédigé le manuscrit.

Références (35)

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    The clinical assessment, treatment, and prevention of lyme disease, human granulocytic anaplasmosis, and babesiosis: clinical practice guidelines by the Infectious Diseases Society of America

    Clin Infect Dis

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    Borréliose de Lyme : démarches diagnostiques, thérapeutiques et préventives

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    Counterpoint: long-term antibiotic therapy improves persistent symptoms associated with lyme disease

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    Point: antibiotic therapy is not the answer for patients with persisting symptoms attributable to lyme disease

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    • Genesis and dissemination of a controversial disease: Chronic Lyme

      2021, Infectious Diseases Now
      Citation Excerpt :

      Over the course of variously protracted periods of diagnostic and therapeutic wandering and wavering, some patients presenting persistent somatic symptoms finally ascribe them to Lyme borreliosis. Exogenous imputation frequently stems from internet consultation or the opinion of a physician convinced of the well-foundedness of the attribution … or lacking in verifiable alternative hypotheses [10,11]. How did the belief in chronic Lyme come into being?

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