Conclusion
Nous pensons que les manifestations dépressives, quelle que soit leur intensité, ne surviennent presque jamais isolément, mais en association avec des symptÔmes post-traumatiques, quelle que soit leur sévérité et quelle que soit leur intensité. Cela demande un réexamen complet et une éventuelle révision de l’épidémiologie des troubles psychiques en oncologie. Si l’existence de manifestations dépressives isolées devait cependant être avérée par un tel réexamen, deux hypothèses s’affronteraient, à savoir d’une part l’éventualité d’un « fondu enchaîné » — transition lente d’un tableau post-traumatique en phase de résolution vers une présentation dépressive résultant de l’impact des facteurs de stress « secondaires » — ou, d’autre part, la possibilité de deux orientations psycho-pathologiques distinctes, dont les déterminants devront être identifiés. Notre hypothèse est au moins soutenue par des données issues de la littérature psychiatrique générale. En effet, dans une revue de données rétrospectives et prospectives provenant d’un registre épidémiologique de jeunes adultes de l’État du Michigan, Breslau et al. (26) ont démontré qu’un risque augmenté de dépression majeure à la suite d’un événement traumatique n’existait que chez les personnes aussi atteintes de PTSD. Si l’on met en perspective ces données avec la démonstration, chez des patients cancéreux déprimés, d’une fréquence accrue de mémoires intrusives et de comportements d’évitement (27), il est permis d’anticiper l’existence d’un cercle vicieux renforçant l’amplitude du spectre post-traumatique au travers d’une intensification de la co-morbidité.
Des modèles d’intervention « universalistes », reposant exclusivement sur des formulations cognitives rationnelles, telles que « renforcer les convictions d’efficacité personnelle », « engager à nouveau l’individu dans la réalisation de ses objectifs », tout en l’incitant à « accommoder ses schémas cognitifs antérieurs à la réalité d’une espérance de vie diminuée (!) » (3), nous semblent, dans ce cadre, réducteurs et voués à l’échec dans la majorité des cas. Les données les plus récentes se révèlent d’ailleurs critiques à cet égard. En effet, il convient de reconnaître que, en dépit de certains résultats encourageants, l’efficacité des interventions psychosociales en oncologie reste généralement faible. Il est exemplaire à cet égard de souligner que Moynihan et al. (28) n’ont pas été en mesure de démontrer l’efficacité de la thérapie psychologique adjuvante dans une population de patients atteints de cancer testiculaire. Or, ce modèle de prise en charge, structuré et reproductible, était jusqu’alors considéré comme la référence en termes de thérapie cognitivo-comportementale chez le patient cancéreux. Il avait en fait été développé spécifiquement pour tenter de répondre aux besoins psychosociaux des patients cancéreux (29). Si les résultats d’une seule étude ne suffisent pas pour remettre en cause l’impression clinique d’un bénéfice substantiel des interventions psychosociales pour la qualité de vie, une revue de la littérature récente (30) confirme la difficulté d’établir de manière significative l’efficacité de ces interventions, fondées essentiellement sur des approches cognitives. La littérature relative au traitement psychologique du syndrome de stress post-traumatique se trouve, elle aussi, confrontée à d’importantes difficultés dans la démonstration de l’efficacité des modèles actuels. Cette observation ne peut manquer de soulever de multiples questions quant à l’adéquation des concepts fondateurs à l’origine de ces modèles.
L’expérience traumatique du cancer est caractérisée par deux spécificités qui lui sont presque uniques, au moins pour la première. En effet, la survenue de l’une des composantes de l’événement traumatique, en l’occurrence l’annonce du diagnostic de cancer, est prévisible. Cette caractéristique implique la possibilité de moduler éventuellement l’impact traumatogène de l’événement par la qualité de la communication lors de l’annonce du diagnostic de cancer. Par ailleurs, le processus d’adaptation post-traumatique fait l’objet d’obstacles multiples, potentiellement intenses et persistants, qui résultent du stigmate social de la maladie, des conséquences des traitements et de l’évolution éventuelle de l’affection néoplasique. Une intervention psychosociale de qualité optimale ne peut donc en aucune manière faire l’économie d’une prise en compte approfondie de tous les facteurs susceptibles d’entretenir le processus anxieux ou d’accroître le risque d’une évolution dépressive. Or, il nous semble que, au cours de ces dernières années, le souci apporté à l’effort de compréhension des aspects psychologiques associés au cancer s’est traduit par un relatif détachement des concepts de base qui faisaient appel à des programmes de « réhabilitation » pluridisciplinaires (31). Un retour aux sources est probablement indispensable à cet égard. D’autre part, et contrairement à une affirmation fréquemment avancée dans la littérature (32), nous ne pensons pas que la réalité d’une menace future — l’éventualité d’une rechute néoplasique — doive être considérée comme une caractéristique distinctive, spécifique de l’expérience traumatique du cancer.
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Ronson, A., Stefos, G. (2011). Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer: est-ce toujours un traumatisme?. In: Annoncer un cancer. Psycho-Oncologie. Springer, Paris. https://doi.org/10.1007/978-2-8178-0160-5_7
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