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L’hédonisme, du grec hédonê « plaisir », est une doctrine philosophique prônée par plusieurs penseurs de l’antiquité, dont Épicure, et qui fait du plaisir le but de l’existence. En immobilier, l’évaluation des prix hédoniques repose sur l’idée qu’une propriété résidentielle est un bien complexe constitué de plusieurs attributs qui apportent chacun un certain degré d’utilité, ou de satisfaction, aux consommateurs et dont on peut mesurer la valeur monétaire, capitalisée dans le prix de vente. À chaque caractéristique est ainsi rattachée une valeur vénale qui constitue son prix hédonique, ou implicite. Une caractéristique peut être intrinsèque à la propriété – nombre de salles de bain par exemple – ou extrinsèque, c’est-à-dire relative au type d’espace dans lequel s’inscrit la propriété, par exemple, la qualité du milieu socioéconomique, l’accessibilité aux services, la présence d’arbres matures dans le voisinage, etc. La caractérisation spatiale a d’ailleurs donné naissance à l’un des mantras les plus connus, pour ne pas dire éculés, en immobilier : « localisation, localisation, localisation ». Deux maisons identiques sont vendues à des prix différents, car situées dans des espaces différents. Cette formule met l’accent sur l’importance donnée aux caractéristiques de situation géographique, appelées aussi contextuelles, et qui, dans certains cas, apportent une contribution à la valeur d’une propriété égale ou supérieure à celle des seuls attributs physiques. L’ensemble de ces caractéristiques, intrinsèques et contextuelles, participe à définir des sous-marchés résidentiels à l’intérieur d’une ville. Les ressemblances regroupent les propriétés similaires, alors que les différences aident à tracer les limites entre des secteurs relativement homogènes.

Les 552 km2 de l’ancienne Communauté urbaine de Québec (CUQ) offrent une mosaïque d’espaces de vie diversifiés. Quatre cent ans d’histoire ont façonné l’agglomération depuis les premières fondations aux abords du fleuve Saint-Laurent en 1608 jusqu’à notre ère (Courville, 2000). Les appropriations successives du sol par les colons, les militaires, les hommes d’Église et les premiers marchands, les guerres, les enjeux industriels, la croissance démographique ont façonné la ville, ses faubourgs et sa périphérie. Au XXe siècle, l’arrivée de moyens de communication plus performants, la hausse des salaires, la tertiarisation de l’économie et un changement dans la demande pour la qualité de vie ont favorisé l’étalement des banlieues et le développement d’un réseau routier et autoroutier particulièrement dense (Ritchot et al., 1994). Les découpages administratifs actuels résultent de ces transformations graduelles. À la suite des fusions municipales de 2002, la géographie des huit arrondissements de la ville de Québec a remplacé celle des treize municipalités de l’ancienne CUQ. En 2006, les municipalités de Saint-Augustin-de-Desmaures et de L’Ancienne-Lorette sont réapparues, après un vote de dé-fusion. En novembre 2009, les huit arrondissements de 2002 sont restructurés pour en former six. Cet enchevêtrement de limites instables complique la mise en oeuvre d’études urbaines, notamment les recherches portant sur les dynamiques immobilières, car il est très improbable que les limites spatiales des sous-marchés soient vraiment dépendantes de ces trépidations politiques. Les limites administratives sont-elles suffisantes pour réaliser des études de géographie urbaine économique? Comment peut-on améliorer la segmentation des marchés résidentiels?

La question des découpages spatiaux

À l’interface de la géographie, de l’urbanisme, de la sociologie et de l’économie, les transformations urbaines forment et réforment les territoires. Depuis les premiers modèles agraires de Von Thünen en 1826, puis par la suite dans les études effectuées par les chercheurs de l’École de Chicago durant les années 1920-1940 (Grafmeyer et Joseph, 2004), les géographes tentent de comprendre comment les phénomènes spatiaux et territoriaux interagissent et quelles sont les conséquences pour la compréhension des processus sociaux et économiques. Une des manières usuelles de prendre en compte l’impact de la situation géographique repose sur les limites administratives en vigueur : limites de municipalités, de provinces, d’États. Ces découpages géographiques de référence, appelés aussi de « convenance », présentent l’avantage de faciliter les comparaisons entre différentes études ou entre différentes périodes, dans la mesure où leurs limites sont le plus souvent fixes. Dans les études menées sur les dynamiques immobilières qui prévalent au sein de la CUQ, les chercheurs ont souvent intégré ces partitions administratives afin de mesurer l’impact de la localisation sur les prix de vente (Des Rosiers et Thériault, 1996).

Or, à Québec comme ailleurs, les entités administratives ne sont pas immuables et font régulièrement l’objet de réorganisation territoriale. De plus, l’inconvénient majeur de ces limites politiques est de ne pas toujours correspondre aux limites fonctionnelles de la ville (Kaufmann, 2008). En effet, ce sont surtout à l’intérieur de ces dernières que s’organisent les activités humaines et que se forment les territoires (Decroly et Grasland, 1996). L’aire d’action de chaque individu est fonction du temps et du budget disponibles, ainsi que de la localisation des opportunités accessibles (Hägerstrand, 1970) selon l’échelle de temps considérée. Les déplacements n’ont pas la même durée, selon les motifs (Thériault et al., 2005) et le moment (Kaufmann, 2008) ou selon les profils démosociologiques (Kestens et al., 2006). Les frontières de ces territoires fonctionnels sont donc floues et évolutives (Pumain, 1996). Pour les besoins de l’analyse urbaine, il n’existe pas de découpage idéal, mais des découpages adaptés selon les problématiques abordées, en fonction des compromis effectués entre le respect des lois de confidentialité ou de protection de la vie privée et l’échelle retenue. Ces choix sont déterminants, en particulier dans les analyses statistiques, notamment en raison de problèmes d’aire spatiale modifiable (Reynolds, 1998), d’erreurs écologiques (Openshaw, 1984) et d’autocorrélation spatiale (Ord et Getis, 1995). Les conséquences sur la validité des résultats sont importantes, notamment dans les études sur les valeurs immobilières et foncières (Dubin, 1988  ; Tu et al., 2007).

C’est pourquoi les économistes et les géographes sont intéressés par la segmentation spatiale des villes en sous-marchés résidentiels. Les marchés immobiliers font partie intégrante du territoire dans la mesure où la valeur d’une propriété est, en grande partie, fonction de son site physique (une vue sur le fleuve) et de sa situation géographique dans le système urbain (à proximité d’une école). Le terme de sous-marché est implicitement déterminé par les théories de localisation résidentielle (Jones, 2002) qui tiennent compte de l’ensemble des composantes du territoire et de leurs interactions. Cependant, il n’a pas de définition formelle universelle (Watkins, 2001). Primo, on peut distinguer diverses modalités d’occupation du logement, depuis la location jusqu’à la propriété exclusive, en passant par la copropriété. Secundo, on peut distinguer les produits selon la nature architecturale des bâtiments concernés : du résidentiel détaché jusqu’à la tour d’habitation. Tertio, à l’instar des évaluateurs d’immeubles, on peut segmenter le territoire selon les caractéristiques des populations concernées et le caractère plus ou moins attractif des milieux locaux (externalités urbaines). Dans un contexte spatial, Cliff et al. (1975) considèrent trois critères d’identification de sous-marchés : simplicité – quelques sous-marchés sont préférables à trop de divisions (parcimonie) ; similarité / discrimination – optimiser les ressemblances à l’intérieur des sous-marchés et maximiser les dissemblances entre les sous-marchés ; contigüité – un sous-marché doit constituer une entité territoriale continue. Il s’agit donc d’espaces homogènes, continus et contigus, qui ne sont toutefois pas assimilables aux « voisinages », mais à la combinaison de plusieurs voisinages similaires (Tu et al., 2007).

Dans la documentation scientifique, les sous-marchés sont souvent identifiés sur une base ad hoc plutôt qu’en utilisant des techniques explicites et documentées (Palm, 1978). Goodman (1981) a testé la pertinence des limites de quartiers et Gabriel (1984) a utilisé les caractéristiques raciales déclarées lors des recensements pour former des secteurs de sous-marché. Palm (1978) a mixé les compositions raciales et les revenus. Bien que variables selon les contextes spécifiques des villes étudiées, tous les chercheurs ont trouvé des différences entre la valeur marchande des propriétés selon la localisation. D’autres chercheurs ont privilégié des méthodes statistiques afin de définir les sous-marchés. Maclennan et Tu (1996) ont appliqué l’analyse de regroupement (cluster analysis) à l’identification des sous-marchés. Récemment, Tu et al. (2007) ont innové en regroupant les propriétés pour lesquelles l’autocorrélation spatiale contenue dans les résidus d’un modèle de prix hédoniques était comparable. Lockwood (2009) a développé une segmentation pour le marché immobilier d’Adélaïde grâce à l’estimation, par régression hédonique géographiquement pondérée (GWR), de la « structure résidentielle de vie » représentée par une cinquantaine de variables intrinsèques et exogènes de propriété regroupées en 10 composantes principales. Enfin, Bourrassa et al. (2003) ont également testé un vaste éventail de méthodes de segmentation dans des modèles de prix hédoniques et ont confirmé que l’introduction de variables binaires identifiant les sous-marchés constitue une technique performante. Par souci de simplicité, c’est cette dernière méthode qui est retenue dans cet article.

L’objectif de cette étude consiste à proposer et valider un découpage fonctionnel du territoire de l’ancienne CUQ en sous-marchés résidentiels pour des fins d’analyse immobilière. La première partie présente une nouvelle approche de segmentation territoriale en sous-marchés résidentiels. Ensuite, un inventaire des données utilisées pour comparer cette dernière avec deux découpages administratifs (avant les fusions de 2002, figure 1) précède une analyse du pouvoir discriminant des trois méthodes (sous-marchés territorialisés), de leur homogénéité et de leur stabilité. Enfin, les trois découpages sont confrontés dans des modèles de prix hédoniques, afin de tester le potentiel explicatif des sous-marchés (variations du prix de base des résidences) qu’elles induisent. Une conclusion synthétise les résultats.

Segmentation historico-morphologique des sous-marchés

La segmentation proposée des marchés résidentiels d’unifamiliales est basée sur une grille d’analyse combinant trois critères : historique du développement urbain (phases de peuplement et attributs des résidants) ; morphologie urbaine reliée au cadre bâti et au réseau viaire (caractéristiques formelles et fonctionnelles) ; présence de barrières liées à l’hydrographie et aux autoroutes. Les territoires sont formés par agrégation de secteurs de recensement, un des découpages du recensement de Statistique Canada (figure 2).

Figure 1

Segmentation selon les limites des municipalités de 2001 et les arrondissements de 2006

(a)

Source : Communauté urbaine de Québec et Ville de Québec

(b)

Source : Communauté urbaine de Québec et Ville de Québec

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Figure 2

Segmentation selon les entités historico-morphologiques

Segmentation selon les entités historico-morphologiques

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Contrairement à une analyse de groupement, cette procédure facilite la prise en compte simultanée des trois critères énumérés par Cliff et al. (1975), tout en favorisant un lien avec les méthodes de délimitation des unités de voisinage couramment en usage dans le domaine de l’évaluation immobilière. L’agrégation proposée tient également compte de la configuration des limites administratives actuelles ainsi que des barrières dans le paysage. De plus, cette segmentation s’inspire du modèle concentrique-sectoriel de Hoyt (Grafmeyer et Joseph, 2004) et met en relief la dualité Haute-Ville/Basse-Ville, ainsi que la structure centre-périphérie de l’agglomération. La segmentation combine des critères : 1) sociologiques : localisation des ménages selon leur composition ; 2) spatiaux : configuration des infrastructures de transport et des services ; 3) territoriaux : construction historique liée aux phases de développement des anciens noyaux villageois et à la spécialisation du sol, et construction politique relative aux fusions et aux dé-fusions municipales (voir annexe 1). Enfin, les entités retenues concentrent un nombre suffisant de transactions immobilières pour répondre aux contraintes statistiques inhérentes aux modèles de prix hédoniques utilisés en évaluation immobilière de masse (Goodman et Thibodeau, 2003) et dans l’approche des ventes répétées (Case et Shiller, 1987 ; Dubé et al., 2010). Ce dernier objectif est souvent irréalisable avec les seuls découpages administratifs.

L’entité territoriale 1 (Haute-Ville) réunit l’arrondissement historique du Vieux-Québec (ICOMOS, 1985), ainsi que les premiers secteurs développés par la bourgeoisie locale avec ses larges allées arborées et bien entretenues (colline Parlementaire, Montcalm, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Sacrement) et ceux qui résultent d’un développement plus contemporain, qui sont également les plus aisés (Sillery et le sud de Sainte-Foy). Le prix moyen par mètre carré d’aire habitable est de 967 $ (moyenne de l’agglomération : 843 $). Le pourcentage de détenteurs de diplômes universitaires y est le plus élevé de la région (44 %, moyenne de 23 %). Ce secteur regroupe la grande majorité des fonctions « nobles », des établissements publics et des sièges sociaux de sociétés privées. Il s’agit du centre axial de l’ancienne CUQ, qui s’étend du centre historique (colline Parlementaire et Vieux-Québec) au ministère du Revenu en passant par le centre économique de Sainte-Foy, et le campus de l’Université Laval. Par opposition, l’entité territoriale 2 (Basse-Ville) rassemble les plus anciens faubourgs ouvriers et centraux de la Basse-Ville de Québec (le port de Québec, Saint-Roch, Saint-Sauveur, Limoilou), ainsi que des quartiers plus récents (Vanier et Duberger-Les Saules). Elle forme la partie la moins favorisée des premières banlieues industrielles, autour des rives de la rivière Saint-Charles. Le prix moyen au mètre carré habitable est de 685 $. En 1996, la population y est très peu scolarisée (13 % de diplômés universitaires) et le revenu moyen par ménage est le plus bas de la ville (34 335  $, moyenne de 48 424 $).

En première couronne périphérique, on distingue quatre entités spatiales. À l’ouest, les anciennes municipalités de Cap-Rouge, Saint-Augustin-de-Desmaures ainsi qu’une partie de l’arrondissement Laurentien (CRSADL) forment l’entité 3 qui regroupe des ménages aux caractéristiques socioéconomiques comparables, attirés par les avantages de site (grands terrains à proximité du fleuve Saint-Laurent) et de situation (le long de l’autoroute 40 en direction de Montréal). Ils affichent les revenus les plus élevés de l’ancienne CUQ (63 408 $) et les populations sont fortement scolarisées (41 % de diplômés universitaires). Le prix moyen au mètre carré habitable est de 937 $. La majeure partie (62 %) de cette banlieue cossue n’est pas urbanisée. Il s’agit également de la dernière grande zone agricole de l’ancienne CUQ. À l’est, les arrondissements de Charlesbourg et de Beauport ont été scindés pour tenir compte des phases de développement urbain et de la variété des paysages : le sud héberge le centre patrimonial du Trait-Carré de Charlesbourg (entité 4, incluant les anciennes municipalités de Charlesbourg-Est et d’Orsainville) et l’ancien bourg agricole de Beauport (entité 5, incluant les anciennes municipalités de Giffard, Montmorency, Courville, Villeneuve et Sainte-Thérèse-de-Lisieux), tandis que le nord de ces arrondissements a été rattaché à la périphérie nord de l’encienne CUQ (entité 7) caractérisée par la discontinuité du tissu urbain. Plus au centre, les secteurs de L’Ancienne-Lorette, Neufchâtel, Loretteville et Lebourgneuf (ALNLL, entité 6) constituent des banlieues résidentielles de classe moyenne. Le prix moyen au mètre carré habitable y est de 848 $ et le revenu médian par ménage de 49 845  $. Il s’agit de banlieues qui se sont développées autour de vieux noyaux villageois, mais qui sont encore en phase de consolidation du tissu urbain.

En deuxième couronne (Couronne Nord, entité 7), Lac-Saint-Charles, Saint-Émile, Val-Bélair et le nord de Beauport et de Charlesbourg constituent un espace d’habitat plutôt dispersé, majoritairement composé de résidences isolées et récentes. La zone bâtie est essentiellement concentrée au sud, tournée vers le centre de l’agglomération, alors que presque 68 % de l’espace est occupé par la forêt, ainsi que par des carrières, des sablières et des terres agricoles ou en friche. Traditionnellement lieux de villégiature (Ritchot et al., 1994), ces secteurs offrent aux habitants tous les services de proximité dans un milieu de vie périurbain, ainsi que des résidences aux prix abordables (le prix moyen au mètre carré habitable est de 811 $), ce qui attire bon nombre de jeunes familles désireuses d’accéder à la propriété à moindre coût.

Données utilisées pour comparer et modéliser les marchés

L’analyse comparative des segmentations spatiales utilise les données sur les ventes de résidences unifamiliales (bungalows, cottages et attachées) effectuées entre 1986 et 1996 sur le territoire de la CUQ. Dubé et al. (2008) montrent que le processus de détermination des valeurs est stable pour l’ensemble de l’ancienne CUQ durant cette décennie. L’objectif de cet article étant de refléter une réalité structurelle et conjoncturelle à un moment déterminé, nous avons choisi de ne pas utiliser une banque de données des transactions réalisées entre 1994 et 2004 sur le même territoire, parce que cette période a été caractérisée, à Québec, par une forte croissance des prix à des rythmes variables selon les sous-marchés, induisant une complexité supplémentaire. Une étude de ces différenciations spatio-temporelles a fait l’objet d’une communication dont le texte sera évetuellement publié (Dubé et Voisin, 2010). Considérant qu’une ville se décrit par sa charpente autant que par la manière dont elle est vécue (Remy et Voyé, 1992), par sa fonctionnalité autant que par la morphologie de son bâti (Kaufmann, 2008), trois types d’information sont utilisés dans les analyses discriminantes ainsi que dans les modèles de prix hédoniques (tableau 1).

Premièrement, les descriptions physiques des résidences proviennent du rôle d’évaluation municipal. L’échantillon est constitué d’unités unifamiliales vendues entre 35 000 $ et 250 000 $, de 1986 à 1996 inclusivement. Cette restriction de la fourchette de prix évite d’inclure des propriétés résidentielles trop exceptionnelles dans l’analyse (ventes à un dollar, résidences mobiles, résidences de très haut standing, etc.), notamment parce qu’elles ne peuvent être décrites avec les mêmes indicateurs que les autres propriétés. Le prix moyen est d’un peu plus de 91 000  $, pour une superficie moyenne habitable de 110 m2 et une superficie moyenne de terrain de 660 m2. L’échantillon est composé de bungalows (résidence unifamiliale détachée comportant un seul étage hors sol) dans une proportion de 70 %. Au total, 19 916 transactions sont retenues. Deuxièmement, des caractéristiques issues du recensement de Statistique Canada de 1996 (par secteur de dénombrement) renseignent sur le contexte socioéconomique du voisinage immédiat des résidences. Troisièmement, des indices d’accessibilité aux lieux d’activité (emplois, loisirs, soins de santé, enseignement et consommation) sont ajoutés afin d’intégrer une dimension structurelle à l’étude. Ces indices sont basés sur l’observation des temps de déplacement en automobile déclarés durant l’enquête Origine-Destination de 2001[1]. Ces distributions ont permis d’établir des indicateurs de propension à se déplacer, synthétisés par type de personnes/ménages, afin de produire des indices « normalisés » d’accessibilité considérant l’acceptabilité des déplacements en automobile vers les points de service dispersées sur le territoire (Thériault et al., 2005). Ces indices reflètent en partie l’organisation spatiale des fonctions du territoire (distribution géographique) telles que pratiquées par les résidants, ainsi que leurs rapports aux lieux selon la structure des réseaux de transport.

Tableau 1

Statistiques descriptives (N= 19 916)

Statistiques descriptives (N= 19 916)
*

Variables utilisées uniquement pour la régression hédonique. Les autres variables ont été utilisées pour l’analyse discriminante des découpages en sous-marchés et pour la modélisation hédonique.

Type de variable : M= métrique, R= rang, B= binaire

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L’hypothèse est que la segmentation historico-morphologique (HM) des sous-marchés (figure 2) est mieux adaptée pour étudier les variations de formation des prix de vente des résidences que deux découpages administratifs : les 13 municipalités de l’ancienne CUQ en vigueur jusqu’en 2001 (figure 1a) et les 8 arrondissements de la nouvelle ville de Québec depuis 2006, auxquels sont ajoutées les villes de Saint-Augustin-de-Desmaures et de L’Ancienne-Lorette, afin de conserver une échelle d’analyse comparable (figure 1b).

Comparaison des segmentations historico-morphologique et administratives par analyses discriminantes

Des analyses discriminantes (AD) multivariées permettent de comparer la performance des découpages en utilisant les variables mentionnées au tableau 1 (excluant celles identifiées par un astérisque), afin de déterminer l’aptitude de chaque découpage à bien caractériser les effets locaux assimilés aux classes d’entités HM, de municipalités ou d’arrondissements. Introduite par Fisher en 1936, l’analyse discriminante sert à étudier les différences entre plusieurs populations (ou classes d’individus) en considérant simultanément plusieurs variables corrélées (Klecka, 1980). Cette méthode recherche plusieurs combinaisons linéaires orthogonales des variables (fonctions discriminantes) qui maximisent les variances interclasses et minimisent la variance intraclasse. Cette optimisation des ressemblances-dissemblances s’effectue en mesurant la distance généralisée (par exemple de Mahalanobis) entre les individus (un individu, ici une résidence, appartient à une seule classe) et chacun des centroïdes de classes, dans un repère de dimension n-1, où n représente le nombre de classes d’individus. Chaque fonction discriminante correspond à une équation linéaire qui effectue une somme pondérée de variables indépendantes (avec contrôle des corrélations) :

Z est le score de discrimination, et Wj est le poids de discrimination accordé au sous-ensemble formé par les Aj variables indépendantes. Les avantages de l’AD, en particulier dans une analyse spatiale comme celle-ci, sont de 1) calculer un taux global de concordance des classements ainsi que des taux de succès pour chaque classe (ou entité spatiale) initiale ; 2) proposer un éventuel reclassement des résidences dans la classe la plus vraisemblable (probabilités conditionnelles de Bayes), étant donné leurs caractéristiques et la structure des fonctions discriminantes. La probabilité bayesienne interprète le concept de probabilité, non comme une fréquence relative, comme dans les statistiques traditionnelles (probabilité < au seuil de 0,05), mais comme une mesure de l’état de connaissance (Tatsuoka, 1971). La probabilité d’un événement, eu égard aux caractéristiques des résidences décrites par les variables (a posteriori), dépend de la vraisemblance de la probabilité première (a priori) d’une propriété d’appartenir à une des classes, celle-ci étant une distribution de probabilités représentant la connaissance à propos d’une quantité inconnue. À partir des probabilités conditionnelles a posteriori, il devient possible d’apporter des corrections au classement des résidences. Le troisième avantage de l’AD concerne la valeur au seuil de probabilité classique (0,05) associée à chaque probabilité conditionnelle. Cette valeur permet de déterminer jusqu’à quel point le classement a posteriori est lié au hasard. Calculées dans SPSS, ces probabilités conditionnelles sont éventuellement exportées vers des logiciels de systèmes d’information géographique (SIG), afin d’être cartographiées et analysées.

Pour les trois segmentations, les tests de significativité des analyses discriminantes montrent que les populations offrent de forts potentiels de distinction. La statistique F des tests d’égalité des moyennes démontre que l’ensemble des variables sont pertinentes dans les analyses. De plus, les valeurs lambda de Wilk – proportion de la variance totale dans les scores de discrimination non expliquée par les différences entre les groupes – confirment que les fonctions discriminantes sont fortes et significatives, de la première à la dernière, en particulier pour les entités HM pour lesquelles le Chi-deux de la dernière fonction reste très élevé (tableau 2).

Tableau 2

Lambdas de Wilks des analyses discriminantes des trois segmentations

Lambdas de Wilks des analyses discriminantes des trois segmentations

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Les résultats des AD ne sont pas tous présentés ici (ils sont néanmoins communicables sur demande) ; par contre, ceux relatifs aux classifications (probabilités a posteriori) sont détaillés car ils permettent une traduction spatiale.

Le découpage HM offre de meilleurs résultats de classification que les deux autres segmentations (tableaux 3 à 5). En comparant le classement initial obtenu par la localisation de chaque résidence dans chaque découpage territorial (relation point dans polygone dans un SIG) avec la probabilité bayesienne d’appartenir à cette même classe (sous-marché le plus probable) après AD des caractéristiques architecturales, socioéconomiques et d’accessibilité, on obtient un classement final qui confirme ou infirme son assignation dans un sous-marché. Par agrégation, on peut compiler le taux de classements confirmés. Globalement, le taux de classements confirmés pour la segmentation HM est de 88,1 %, alors qu’il plafonne à 78,6 % pour le découpage par arrondissements et à 78,7 % pour le découpage par municipalités. Ainsi, 88,1 % des 19 916 résidences ayant été traitées avec l’approche HM ont vu leur classement confirmé par l’AD. Par contre, les découpages en municipalités ou en arrondissements n’arrivent à classer correctement que 78,7 % et 78,6 % des résidences. Ces découpages associent des résidences plus dissemblables, induisant plus d’hétérogénéité dans les sous-marchés qu’ils proposent.

Une partie des différences de performance globales observées pouvant être attribuée aux différences du nombre de classes, il s’avère également utile de comparer les méthodes d’identification des sous-marchés en fonction de leur aptitude à équilibrer la répartition des erreurs entre les sous-marchés. À l’échelle des sous-marchés, on peut définir deux types d’erreur dans la matrice de confusion : 1) l’erreur d’omission, lorsque le découpage spatial assigne dans un autre sous-marché une résidence qui aurait du être classée dans une classe donnée selon l’AD (somme des valeurs extra diagonales sur les colonnes) ; 2) l’erreur de commission, lorsque la résidence qui avait été assignée dans un sous-marché par découpage spatial est classée ailleurs par l’AD (somme sur les lignes). Les tableaux 3, 4 et 5 présentent les matrices de confusion (ou de classement) entre les classements initiaux (segmentation spatiale) et finaux (AD) pour les trois méthodes de découpage. Une méthode de segmentation qui répartit les erreurs de manière plus équilibrée est nettement préférable à une autre qui produit des distorsions spatiales plus marquées.

La méthode HM génère des erreurs qui sont distribuées de manière relativement uniforme, contrairement aux limites administratives qui ont tendance à produire de forts écarts de performance entre les sous-marchés. Les erreurs d’omission de l’AD HM varient de 0,9 % à 23,4 %, contre 1,3 % à 44,3 % pour les arrondissements et de 2,4 % à 42,3 % pour les municipalités. Les erreurs de commission sont également distribuées plus équitablement dans l’AD HM : de 2,5 % à 22,8 % vs de 0,0 % à 50,1 % pour les arrondissements, et de 0,0 % à 57,3 % pour les municipalités.

Dans chaque classification, les sous-marchés qui obtiennent les plus faibles erreurs d’omission et de commission définissent des territoires continus où les marchés résidentiels sont très homogènes en termes de caractéristiques architecturales, socioéconomiques et d’accessibilité. A contrario, ceux qui concentrent de fortes erreurs sur les deux tableaux sont certainement hétérogènes. Les sous-marchés où les erreurs d’omission l’emportent sur les erreurs de commission sont en fait plus étendus que ce qui a été défini par la segmentation spatiale initiale. Le rapport inverse indique un sous-marché a posteriori moins vaste que le territoire qui lui a été assigné initialement.

Dans le tableau 3 (méthode HM), les sous-marchés de la Haute-Ville (1), CRSADL (3) et Basse-Ville (2) sont globalement homogènes. Les sous-marchés du Sud de Charlesbourg (4) et de la Couronne Nord (7) ont été surdimensionnés a priori. Le sous-marché du Sud de Beauport (6) devrait être étendu au Sud de Charlesbourg et dans la Couronne Nord, alors que le sous-marché ALNLL doit être étendu dans la Couronne Nord. Il est également possible que certaines confusions soient causées par l’existence d’espaces de transition où deux sous-marchés entrent en interaction. La figure 3 présente un essai de représentation qui distingue les zones d’erreur où il faudrait étendre spatialement les sous-marchés de type HM (édition du découpage) et les zones de transition qui correspondent aux litiges spatiaux (classement par AD différents entre propriétés voisines) formant de véritables zones de transition.

Dans le tableau 4, le seul arrondissement pouvant être qualifié d’homogène est Limoilou (4), malgré quelques espaces de transition avec Beauport et Charlesbourg. L’arrondissement de la Cité devrait être étendu vers Sillery et l’est de Sainte-Foy. L’arrondissement des Rivières (2) devrait céder du territoire à la Haute-Saint-Charles. L’arrondissement de Charlesbourg (4) s’étend sur les sous-marchés de Limoilou au sud, de Beauport à l’est et de la Haute-Saint-Charles au nord. Le sous-marché de Beauport (5) devrait être étendu au Sud de Charlesbourg. Les sous-marchés des arrondissements Laurentien (8) et de la Haute-Saint-Charles (7) sont en intersection mutuelle. Les sous-marchés des municipalités de L’Ancienne-Lorette (9) et de Saint-Augustin-de-Desmaures (10) sont bien présents dans l’arrondissement Laurentien (8).

Tableau 3

Matrice de classement avec les entités historico-morphologiques : taux de classement confirmé = 88,1%

Matrice de classement avec les entités historico-morphologiques : taux de classement confirmé = 88,1%

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Tableau 4

Matrice de classement avec les arrondissements de 2006 : taux de classement confirmé = 78,6%

Matrice de classement avec les arrondissements de 2006 : taux de classement confirmé = 78,6%

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Dans le tableau 5 (municipalités), les discordances entre la segmentation spatiale et l’AD sont également répandues. Après les vagues antérieures de fusions municipales, en 2001, la municipalité de Québec avait un territoire très complexe qui alliait des quartiers centraux avec des banlieues de première couronne et certaines portions de la périphérie nord. Il n’est donc pas étonnant que l’AD révèle un fort potentiel pour les erreurs de commission (57,3 %). Pour des raisons historiques, le parc domiciliaire de la municipalité de Saint-Augustin-de-Desmaures est divisé en deux parties, l’une étant adjacente au vieux noyau villageois, la seconde s’étant développée en périphérie de Cap-Rouge. Ce découpage municipal a nécessairement engendré des erreurs de commission et d’omission de 40  % entre ces deux localités. De même, Sainte-Foy ayant annexé une partie du quartier Laurentien durant les années 1970, il n’est pas surprenant d’y découvrir une forte erreur de commission avec la municipalité voisine (L’Ancienne-Lorette). À la même époque, Québec annexait Neufchâtel qui est adjacente et très semblable à Loretteville, ce qui explique la prévalence de l’erreur de commission dans cette partie du territoire.

Tableau 5

Matrice de classement avec les municipalités de 2001 : taux de classement confirmé = 78,7%

Matrice de classement avec les municipalités de 2001 : taux de classement confirmé = 78,7%

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Enfin, un dernier facteur doit être pris en compte pour comparer l’aptitude des partitions à réaliser des modèles de régression : ces partitions doivent fournir des effectifs sensiblement équivalents afin d’équilibrer le calcul des erreurs-types de coefficients entre les sous-marchés. Ainsi, un sous-marché qui aurait moins de transactions que les autres serait théoriquement plus sujet à des variations intempestives des coefficients. Réalisée indépendamment de toute contrainte administrative, la méthode HM performe nettement mieux que les autres sous ce rapport. Il est effectivement peu probable que la taille des sous-marchés résidentiels s’en tienne à la logique qui préside à la détermination des territoires administratifs.

Sur la carte des classements a posteriori de la segmentation de type HM (figure 3), il s’avère que les observations mal classées (par commission ou par omission) se retrouvent le plus souvent en bordure des unités spatiales et que très peu sont dispersées à l’intérieur des entités spatiales. Cette structure spatiale des résultats confirme notre choix de retenir la forme semi-concentrique (limitée par le Saint-Laurent) de Burgess, dont Hoyt s’est inspiré pour élaborer son modèle sectoriel, mais la Couronne Nord semble plus périphérique que prévu. Les propriétés situées à Saint-Augustin-de-Desmaures, au nord de l’autoroute 40 se situent en effet dans un environnement naturel agricole ou forestier qui n’est pas comparable avec le sud de Saint-Augustin-de-Desmaures ou Cap-Rouge. Les sous-marchés de Beauport et de la Basse-Ville paraissent bien plus étendus que les prévisions initiales. À l’inverse, les sous-marchés de Charlesbourg et ALNLL voient leur superficie diminuer au profit des voisins. Il semble donc que les infrastructures autoroutières ne constituent pas une discontinuité aussi importante que ce que nous avions supposé, du moins pour le découpage des sous-marchés résidentiels. Il serait possible de corriger le classement initial en réassignant les propriétés situées en zone de transition grâce aux probabilités conditionnelles de l’AD. Nous éviterons cependant cette option pour la section suivante (modélisation hédonique), afin de préserver le caractère comparatif entre les trois approches. De plus, les réallocations spatiales de l’AD feraient perdre au découpage HM le caractère contigu sur lequel il est basé.

Enfin, toujours sur la figure 3, les litiges spatiaux ont été représentés en noir. Il s’agit de 791 propriétés pour lesquelles la probabilité classique (p-value) associée à la probabilité conditionnelle de chacun des classements a posteriori se situait entre 0,4 et 0,6 pour deux sous-marchés. Cela signifie que, eu égard aux attributs de la propriété, l’AD la rattache à l’un des sous-marchés, mais avec une forte probabilité que la différence soit due au hasard. Finalement, 376 propriétés ont été classées dans le sous-marché initial, alors que 415 ont été reclassées. Ce résultat est satisfaisant dans la mesure où une proportion très marginale des observations présentait des profils de caractéristiques « extra-ordinaires » qui les rendaient difficilement classables. Néanmoins, si dans un marché donné, ce type de confusion devait se généraliser, il faudrait dès lors procéder avec une optique de logique floue et faire l’hypothèse que certaines propriétés correspondent simultanément à deux ou plusieurs sous-marchés.

Comparaison des segmentations dans un modèle hédonique

Figure 3

Classements a posteriori prévus par l’AD, à partir des sous-marchés résidentiels de type historico-morphologique (HM)

Classements a posteriori prévus par l’AD, à partir des sous-marchés résidentiels de type historico-morphologique (HM)

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Afin de vérifier leurs performances, les trois découpages proposés sont utilisés dans autant de modèles de prix hédoniques (MPH). Cette procédure combine la théorie hédonique (Rosen, 1974), la théorie des probabilités et le calcul différentiel. Elle utilise la régression multiple qui permet d’évaluer la contribution marginale (ou prix implicite) de chaque caractéristique du bien, lequel reflète les préférences des consommateurs. Une propriété immobilière est un bien composé de plusieurs attributs hétérogènes, qui apportent une certaine utilité ou satisfaction aux consommateurs. Le prix de vente du logement correspond à sa valeur marchande et est la somme des évaluations conjointes que font l’acheteur et le vendeur des attributs du bien, dans un marché libre et ouvert à la concurrence. Sous forme mathématique, la théorie des prix hédoniques permet d’expliquer le prix de vente en fonction de chacun des attributs, dont la localisation. Pour les besoins spécifiques de cette analyse, nous produisons un modèle multiplicatif afin d’estimer des coefficients de régression en pourcentage de contribution à la valeur, plutôt qu’en dollars canadiens, en utilisant le logarithme népérien du prix de vente comme variable dépendante (Dubé et al., 2009) :

Yits est la variable dépendante – le prix de vente de la résidence i au temps t situé dans le sous-marché s,βt est l’ordonnée de la droite de régression qui varie pour chaque année t, Xp sont les variables indépendantes – les attributs de la propriété, βp sont les coefficients de régression – le prix implicite attribué à chaque caractéristique de la propriété, et εits est le terme d’erreur.

La segmentation en s sous-marchés repose sur le postulat que les acheteurs potentiels recherchent des propriétés qui correspondent à des besoins différenciés et que les résidences concernées ne sont pas distribuées au hasard sur le territoire. De plus, comme l’offre et la demande varient d’un sous-marché à l’autre, cette segmentation se traduit par une variation de l’ordonnée à l’origine de la régression. Afin de comparer l’efficacité des types de découpage en sous-marchés pour l’étude des marchés résidentiels, des modèles caractérisant, sous forme de variables binaires de localisation, le découpage municipal (MPH2), le découpage par arrondissements (MPH3) et de segmentation HM (MPH1) sont présentés aux tableaux 6 et 7. Bien que les variations temporelles soient peu prononcées, des variables binaires identifiant l’année de transaction permettent de contrôler pour l’inflation entre 1986 et 1996, ce qui corrige pour la variation temporelle en calculant l’ajustement de l’origine (constante) pour chaque année après 1986.

Le modèle hédonique intégrant la segmentation HM (MPH1) reflète plus de 81  % de la variation des prix et offre les meilleures performances globales, comparativement au modèle municipal (MPH2) et au modèle par arrondissement (MPH3) (tableau 6). Son R2 ajusté – qui mesure la performance de prédiction du modèle, après correction du biais lié à la perte de degrés de liberté – est plus élevé. Contrairement au taux de classement de l’AD, cette différence des R2 ajustés compense l’effet du nombre de classes et confirme la supériorité de la segmentation HM. Son F – qui évalue la significativité générale du modèle – est également plus élevé. De plus, les trois modèles estiment les coefficients avec une erreur-type de l’estimation égale ou inférieure à 15 %.

Tableau 6

Ajustement des modèles de prix hédoniques

Ajustement des modèles de prix hédoniques

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Les t de Student – statistique qui permet de comparer l’importance de la variable dans l’explication de la variation totale – sont présentés au tableau 7 pour chacun des trois modèles. Les variables sont presque toujours significatives (probabilité inférieure à 0,05) et les coefficients (B) varient relativement peu d’un modèle à l’autre.

La variable dépendante étant exprimée en logarithme et certaines variables indépendantes étant aussi de forme logarithmique, leurs paramètres s’interprètent comme des coefficients d’élasticité. Ainsi, dans la MPH1, la valeur de la propriété augmente de 4,3 % si la surface habitable augmente de 10 % (élasticité de 0,43) alors que, si la taille du terrain augmente de 10 %, la valeur marchande augmente de 1 % (élasticité de 0,1). Quant aux variables non transformées, elles génèrent des coefficients qui s’interprètent comme une variation relative de valeur par unité. Par exemple, toutes choses étant égales par ailleurs, le prix de vente augmente de près de 10 % si la propriété dispose d’un garage simple attaché contre seulement 5 % s’il s’agit d’un garage simple détaché. Les coefficients des attributs intrinsèques de propriété, des caractéristiques socioéconomiques du voisinage, d’accessibilité aux services et des binaires d’inflation sont assez semblables entre les modèles. Toutefois, certaines caractéristqiues paraissent avoir des impacts sur le prix de vente plus variables selon les modèles (par exemple, le pourcentage de diplômés universitaires, de cottages), ce qui manifeste une certaine sensibilité de la mesure de leur contribution marginale selon la qualité du découpage en sous-marchés. Néanmoins, les tendances demeurent stables, les signes ne s’inversent pas.

Ces effets structurels et contextuels étant contrôlés, on peut étudier l’effet marginal des sous-marchés sur les prix de vente en identifiant un des territoires comme référence afin de vérifier l’hypothèse de différenciation spatiale. Quel que soit le modèle, on observe des variations spatiales significatives des impacts sur le prix de vente. Le MPH1 montre qu’une propriété de la Basse-Ville se vend 31 % moins cher qu’une propriété identique de la Haute-Ville (référence), et ce, en surcroît des effets de différence socioéconomique et d’accessibilité. En fait, les six autres sous-marchés de la segmentation HM affichent des valeurs résidentielles inférieures à la Haute-Ville. C’est la tendance attendue puisque le sous-marché de la Haute-Ville correspond au centre économique, politique et historique de l’agglomération, là où se regroupent les populations les mieux nanties.

Mais surtout, les tests t de Student affichent, pour les indicateurs des sous-marchés HM, des valeurs substantiellement plus élevées que pour les découpages administratifs : -37 en moyenne, contre -26 pour les municipalités et -6 pour les arrondissements. Les trois découpages captent donc des différences spatiales significatives, mais ces dernières sont très nettement mieux modélisées et contrastées avec le découpage HM qui produit une segmentation plus homogène et des différenciations plus stables. Ainsi, l’amplitude entre les t des indicateurs de sous-marchés est moins importante, de -33 à -42, pour la segmentation HM, que celles de la segmentation par municipalités (de -20 à -34) et par arrondissements (de -1 à -13). À l’extrême, l’arrondissement de Limoilou ne présente pas de différence significative avec l’arrondissement de référence, la Cité. Par conséquent, la segmentation HM est nettement plus efficace et offre une différenciation spatiale dont l’efficacité est plus constante dans toute l’agglomération.

Tableau 7

Modèles de prix hédoniques (var. dépendante : log. naturel prix de vente)

Modèles de prix hédoniques (var. dépendante : log. naturel prix de vente)

Tableau 7 (suite)

Modèles de prix hédoniques (var. dépendante : log. naturel prix de vente)
*

non significatif à 0,05.

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Conclusion

Dans des analyses discriminantes basées sur des attributs des propriétés ainsi que sur des caractéristiques de voisinage socioéconomique et d’accessibilité, la segmentation HM offre un meilleur pouvoir discriminant que les découpages administratifs de municipalités et d’arrondissements. De plus, elle présente l’avantage d’être globalement et localement mieux équilibrée, en termes de répartition des erreurs de classement et d’équilibre des effectifs entre les groupes. Ensuite, des modèles de prix hédoniques démontrent que le découpage HM caractérise mieux les sous-marchés résidentiels de la CUQ que les limites administratives. Les performances globales du MPH1 ainsi que les coefficients et les t des variables confirment la pertinence de la segmentation HM pour réaliser des études immobilières, du moins pour les marchés résidentiels. La relative performance de cette segmentation découle vraisemblablement des principes qui ont présidé à son élaboration. Au-delà d’une partition du territoire visant l’homogénéité des milieux, nous avons cherché à définir une partition fonctionnelle représentative de la réalité territoriale de Québec. L’espace devient territoire, au-delà du sens strictement juridique et politique et dans l’acception que lui confère Le Berre (1992) lorsqu’il est transformé par les hommes, lorsqu’il est « domestiqué », lorsqu’il n’est plus neutre. Qualifier l’espace représente déjà une forme de territorialisation, dans la mesure où cela permet de le décrire, de le caractériser, d’en reconnaître la spécificité. Ainsi, la contribution essentielle de cette étude concerne la mise en relief 1) de l’existence de sous-marchés résidentiels unifamiliaux, 2) d’une méthode efficace pour comparer des découpages spatiaux avec une finalité donnée (ici la modélisation de la contribution marginale des sous-marchés dans la formation des valeurs foncières) et 3) d’une réalité structurelle urbaine : la forme semi-concentrique et axiale de l’ancienne CUQ qui se reflète dans la structuration des marchés résidentiels.