Navigation – Plan du site

AccueilNumérosVolume 5 Numéro 2Dossier : Écologie et économieDu concept à la mise en œuvre du ...

Dossier : Écologie et économie

Du concept à la mise en œuvre du développement durable : théorie et pratique autour de guide SD 21000

Christian Brodhag, Natacha Gondran et Karen Delchet

Résumés

Le thème de la Responsabilité Sociétale des Entreprises se développe dans un cadre institutionnel international où régulations publiques côtoient approches volontaires. L’article traite des fondements théoriques des approches volontaires, des différences entre RSE et développement durable et les dérives auxquelles conduit une approche superficielle du développement durable. En conclusion l’article montre comment les lignes directrices SD 21000, développées par l’AFNOR, permettent de dépasser les limites identifiées.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Les questions de la Responsabilité Sociale ou Sociétale des Entreprises et du développement durable préoccupent de plus en plus nombre de décideurs économiques ou d’institutions publiques. Pour la Commission européenne, l’identité entre ces deux questions va de soi : « Intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties intéressées. Il s’agit non seulement de satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi d’aller au-delà et d’investir d’avantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties intéressées ».(CCE, 2001)

2Le concept de la responsabilité sociétale fait la promotion d’une adhésion de l’entreprise aux valeurs globales de la société, à ses normes formelles ou informelles, et aux attentes d’un large groupe de parties intéressées, ou parties prenantes.  Ces dernières ont été définies ainsi: « tout groupe ou individu qui peut influencer ou être influencé par la réalisation des objectifs de la firme » (Freeman, 1984). Le texte du SD 21000 donne la définition suivante : « individu ou groupe pouvant affecter ou être affecté, directement ou indirectement, dans le court terme comme dans le long terme, par les stratégies, les actions, les messages (et leurs conséquences), que l’entreprise met en œuvre pour atteindre ses objectifs » (AFNOR, 2003). Au-delà de la responsabilité juridique de l’entreprise, se pose le problème de sa légitimité. Mais, devant une pression aussi floue, les entreprises peuvent avoir trois types de comportements : celui de se mettre en conformité de façon totale ou partielle avec ces normes, celui de l’évitement en élaborant une image de conformité, et enfin la manipulation pure et simple (Capron, 2004).

3Cette préoccupation fait écho à la réflexion menée au sein des Nations Unies en matière de développement durable, notamment sur la modification des modes de production et de consommation. Mais ces deux concepts ne se recoupent pas totalement, le développement durable étant lui aussi l’objet de nombreuses manipulations. Pour assurer la convergence des deux concepts, certains ont proposé de ne garder que le terme de responsabilité des entreprises (rapport préliminaire du groupe SAG de l’ISO) voire à l’inverse le terme de responsabilité sociale et environnementale (Brodhag et coll., 2004b).

4L’appropriation du concept de développement durable par les différents acteurs de la société est en effet source de confusions et d’interprétations parfois totalement divergentes du fait de l’ampleur du champ couvert, des différences de vision entre secteurs public et privé, et de contradictions potentielles entre divers intérêts que le concept a pour ambition de réconcilier. Ainsi, le développement durable est souvent utilisé aujourd’hui pour justifier des approches qui n’ont pourtant de « durables » que le nom. Son champ est multithématique, au risque d'être attrape tout, couvrant les thèmes environnementaux, sociaux (et / ou sociétaux) et économiques, (le fameux « triptyque du développement durable »), auxquels certains rajoutent les aspects culturels ou la gouvernance. Ses approches cherchent à élargir la notion d’intérêt général et le cadre traditionnel de l’action à des horizons jusque là laissés pour compte : long terme, aspects environnementaux planétaires, accès aux biens essentiels, intérêts des populations les plus démunies, des générations futures et des autres espèces vivantes. Pour cela, des approches systémiques et intégrées s’appuyant sur des mécanismes de coopération, de consultation et de concertation, doivent être inventées dans un monde court-termiste, concentré sur l'immédiat, organisé autour d‘approches sectorielles privilégiant la compétition. L’inexistence de « solutions toutes faites » prêtes à l’usage fait souvent apparaître ce concept comme un discours idéologique loin de la réalité. A l’heure actuelle, la réflexion sur le développement durable soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Cela laisse donc le champ à de multiples stratégies d'évitement, où la mauvaise foi côtoie des actions symboliques. La question des moyens que l’on peut (ou, souvent, que l’on ne veut pas) mobiliser pour ces questions vient souvent occulter celles des fins même du « développement » et des valeurs qui lui sont associées. Le discours sur le management ou la bonne gouvernance occulte la réflexion stratégique et la détermination de nouveaux objectifs substantifs, pourtant nécessaires à un réel élargissement de cet intérêt général.

5Quand on demande aux collectivités locales quels sont les principes qui fondent leur stratégie de développement durable (Agendas 21 locaux), elles citent la participation, la transparence, le partenariat et le souci du futur dans 60% à 80% des cas. En revanche la prise en compte des limites écologiques arrive loin derrière, entre 20 et 30% des cas, et l'équité et la justice à moins de 40% à l’exception notable des villes d’Amérique Latine (ICLEI, 2002 ; GRAILLOT et coll., 2003).

6Nous allons développer dans cet article les éléments du contexte international qui conduisent à interpeller les entreprises dans leur responsabilité sociétale, les fondements théoriques sur lesquels s’appuient ces actions, et les outils en cours de développement.

Quand le contexte du développement durable et de la gouvernance mondiale concerne les entreprises…

Historique de la prise en compte du développement durable par le secteur économique

7En 1997, au moment de la préparation de l’Assemblée Générale des Nations Unies consacrée à l’évaluation des engagements cinq ans après le Sommet de Rio, le constat de la mondialisation a conduit la communauté internationale à interpeller les entreprises, principalement les multinationales. C’est à ce moment que des entreprises, des associations et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) ont lancé une première initiative sur les rapports de développement durable et les systèmes de reddition (reporting) : la Global Reporting Initiative. L’Assemblée Générale des Nations Unies de 1997 consacre le rôle des entreprises et inscrit l’entreprise au programme de la 6ème session de la Commission du développement durable en 1998. Un document de contexte (UNEP, 1998) diffusé par ce même PNUE apparaît comme le cadrage de ce que devrait être la responsabilité entrepreneuriale des entreprises :

« a) redéfinition des stratégies des entreprises pour inclure le triptyque du développement durable, économique, social et environnemental, dans toutes les divisions (marketing, achats, conception des produits, publicité..) et dans toutes les opérations dans le monde entier

b) reconception des procédés, produits et services

c) partenariat actif dans le développement et la mise en œuvre des accords et conventions internationales

d) reconnaissance complète du «droit de savoir» et du «principe de précaution»

e) développement d’indicateurs de développement durable après consultation des parties prenantes, utilisés pour la comparaison des performances (environnementale, économique et sociale) dans et entre les secteurs industriels

f) rapports de développement durable incluant les normes internationales

g) audits sociaux

h) transparence, ouverture et contribution active au dialogue impartial avec toutes les parties prenantes »

8Puisque les grandes conventions internationales en matière d’environnement de droits de l’homme ou du travail tardent à être ratifiées et mises en œuvre par certains pays, les Nations Unies interpellent les entreprises pour qu’elles s’engagent directement. L’initiative du Pacte Mondial (Global Compact) lancée par le Secrétaire général des Nations Unies en 1999 à Davos vise à faire prendre des engagements aux entreprises sur 9 principes tirés des accords internationaux : la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Déclaration de l’Organisation Internationale du Travail relative aux principes et droits fondamentaux du travail et la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. L’introduction d’un principe concernant la lutte contre la corruption est actuellement envisagée, en accord avec la Convention international élaborée sur ce thème à l’automne 2003. Les principes directeurs publiés, en 2000, à l’intention des entreprises multinationales (OCDE, 2000), portent sur la publication d’informations, l’emploi et les relations professionnelles, l’environnement, la lutte contre la corruption, les intérêts des consommateurs, la science et technologie, la concurrence et la fiscalité.

9Le programme d’action de Johannesburg (Nations Unies, 2002) conforte ce mouvement et propose d’« encourager le secteur industriel à améliorer ses résultats sur les plans social et environnemental grâce à des initiatives volontaires concernant, par exemple, des systèmes de management environnemental, des codes de conduite, des mesures de certification et la publication d’information sur des questions environnementales et sociales, en tenant compte d’éléments tels que les normes de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et les directives de l’Initiative mondiale sur les rapports de performance (Global Reporting Initiative ou GRI) concernant les données relatives à la durabilité, en gardant à l’esprit le principe 11 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement ». Ce dernier principe demande que de telles normes n’imposent pas un coût économique et social injustifié aux pays en développement.

Une diffusion du concept qui repose principalement sur des approches volontaires

10Dans ce contexte, l’ISO a initié un processus de réflexion sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Un rapport de la Commission des Consommateurs de l’ISO (COPOLCO, 2002) concluait qu’« une norme ISO de système de management pour la responsabilité sociétale était tout à la fois souhaitable et réalisable du point de vue des entreprises, du personnel, des citoyens, de la communauté et du gouvernement ». En septembre 2002, le Technical Management Board (TMB) de l’ISO approuvait la résolution 78/2002 mettant en place un groupe consultatif stratégique (SAG) sur la Responsabilité Sociétale : « pour déterminer si l’ISO devait développer des outils dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises, et dans cette éventualité la portée du travail et le type d’outil ».

11Ce groupe a fait des recommandations le 30 avril 2004 (SAG ISO, 2004). Assez faibles sur l’environnement, ces dernières notent que le sujet de la RSE touche des domaines nouveaux pour l'ISO qui devrait revoir ses processus internes afin de permettre une réelle représentativité des différentes parties intéressées. En effet, cette organisation, dirigée par des délégations nationales dans lesquelles les entreprises sont majoritaires, devrait s’ouvrir aux associations et syndicats, experts et scientifiques ainsi qu’au secteur public : organisations internationales, Etats ou collectivités locales. La représentation directe dans la réflexion d’organisations internationales multilatérales, d’ONG ou de syndicats, serait pour l’ISO une grande nouveauté. Le rapport pose aussi le problème de la distinction à faire entre les instruments et normes issues d'institutions politiques internationales et les normes privées. L'ISO n'a en effet aucune légitimité pour définir des attentes sociales pour lesquelles elle doit reconnaître la compétence de l’OIT et de ses structures paritaires. En fait, l'ISO ne doit pas se situer dans le champ du politique.

12Ce point essentiel des relations entre approches volontaires et réglementation, avait aussi été soulevé par la Confédération européenne des syndicats qui s’inquiétait, dans sa réponse au livre vert de la Commission Européenne, de voir la RSE devenir un substitut à la réglementation ou à la législation concernant les droits sociaux ou les normes environnementales (Capron, 2004).

13Le système multilatéral international se construit trop lentement vis-à-vis des problèmes qui se posent au niveau international, et les institutions internationales ont tendance à compter sur les approches volontaires pour leur ouvrir la voie. Le mécanisme de négociation coopérative qui a abouti à l’émergence du développement durable comme concept qui tente de rapprocher les intérêts de l’environnement et du développement (Boutaud A., 2002) et la frontière entre les actions publiques et privées illustrent tous deux ce que certains ont qualifié de « diplomatie des réseaux » (Metzl J. F., 2001). Associations, scientifiques, entreprises, syndicats et collectivités locales… participent, avec les représentants des Etats, aux réflexions, négociations internationales et à la mise en œuvre de solutions. Le fonctionnement des réseaux nécessite des systèmes d’information ou de transaction nouveaux (Brodhag, 2004c). Pour cela des outils d’autoévaluation, des systèmes d’indicateurs de développement durable côtoient des systèmes de management ou des visions nouvelles pour les stratégies d’entreprise. Les outils qui s’imposeront devront moins leur succès à leur légitimité politique ou à leur pertinence technique qu’à leur capacité de développer un réseau d’alliances qui ressemble fort aux réseaux hybrides décrits par la sociologie de l’innovation (Callon M., Latour B., 1991)

Un concept qui peut se diffuser grâce à une approche par réseaux ?

14Cette approche par réseau peut faciliter la diffusion du concept de développement durable parmi les divers acteurs. Par exemple, les acteurs économiques, adhérant à une démarche de développement durable de façon volontaire, peuvent ainsi avoir une vision positive de ce concept et le percevoir comme une opportunité stratégique, contrairement à « l’environnement » initialement plutôt perçu comme une contrainte par les entreprises qui y ont d’abord été confrontées à travers des approches réglementaires et fiscales. Cela a souvent conduit à des approches dites « en bout de tuyau » où l’on a plutôt cherché à traiter la pollution une fois qu’elle était générée, pour respecter des exigences réglementaires) qu’à repenser l’outil de production en minimisant à la source ses consommations en ressources naturelles. L’approche volontaire, qui consiste à proposer à l’entreprise l’occasion de valoriser une approche pro-active de prise en compte de l’intérêt général, a la faveur des économistes libéraux car elle est censée faciliter les innovations et l’efficacité de la résolution des problèmes : ce sont souvent les problèmes pour lesquels les solutions sont les plus rentables ou les moins coûteuses qui seront résolus en priorité. Ainsi, la diffusion des outils du développement durable par les réseaux semble être privilégiée. Cela peut faciliter les négociations entre réglementeur et réglementé, éviter aux politiques de mettre en péril des emplois (même modestes) à cause d'objectifs environnementaux et de limiter les incidences des politiques environnementales sur les coûts de production.

15Cependant, cette approche présente également des limites. Un rapport de l’OCDE, paru en 2003, souligne les limites des approches volontaires et préconise le renforcement de la coopération internationale en vue de l'utilisation des instruments économiques. L'arbitrage et les compromis difficiles semblent incontournables pour atteindre des objectifs environnementaux ambitieux, l’efficacité environnementale est limitée s'il n'y a pas de dispositif de contrôle et de sanction individuelle. Si l’incitation est insuffisante, l’approche volontaire n’entraîne aucune action sur la diminution de la demande du bien dont la production entraîne des impacts environnementaux. Ainsi, les instruments économiques semblent plus efficients sur les plans environnementaux et économiques, même s’ils peuvent entraîner une perte de compétitivité internationale des secteurs concernés (OCDE, 2003). Les conclusions de ce rapport peuvent être transposées à notre problématique : l’efficacité, en terme de durabilité pour la société prise dans son ensemble, de normes d’application volontaire portant sur la prise en compte du développement durable par les entreprises risque d’être plus que limitée si ces normes volontaires ne sont pas accompagnées d’incitations substantives réelles en terme de réduction des pressions environnementales et respect des êtres humains concernés par les activités de l’entreprise. Les approches réglementaires et économiques, traditionnelles, permettant d’exercer de telles incitations semblent indispensables. Cependant, celles-ci passent par les Etats qui ont pour rôle de fixer les règles du jeu pour les entreprises de leur territoire. La globalisation des problèmes que soulève le développement durable (effet de serre, par exemple) pose de nombreux défis à la mise en place de telles incitations si elles n’existent qu’au niveau national

Les engagements

16Les entreprises sont donc sommées de prendre des engagements au nom de leur responsabilité sociétale et de les respecter. Bon nombre d’entre elles affichent des visions, des valeurs ou des engagements dans le champ du développement durable et de la RSE. Cependant comme ce cadre d’engagements n’est pas lié à un mécanisme d’évaluation, il peut se limiter à l’affichage de bonnes intentions ou des positions incohérentes avec les engagements pris. A titre d’exemple, 335 entreprises françaises avaient signé en juin 2004 le Pacte mondial, ce qui représente près de 20% des signataires. Or certaines de ces mêmes entreprises ont milité contre l’introduction du principe de précaution dans la Constitution française (Brodhag, 2003) alors que le Pacte Mondial précise dans l’un de ses principes que « les entreprises sont invitées à appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement ».

L’évaluation

17Il est donc nécessaire que les organisations évaluent et rendent compte sur leur performance affichée. Le rapport de la Commission Brundtland(Brundtland, 1987) exprimait la nécessité d'adopter de nouvelles méthodes de mesure et d'évaluation des progrès en faveur du développement durable. Il a fallu attendre la 3ème session de la Commission du développement durable, en 1995, pour que les gouvernements soient invités« à préparer ou à mener des études sur la mise au point d'indicateurs du développement durable reflétant la situation propre à chaque pays » (Nations Unies, 1995) et qu'un travail international soit initié par les Nations Unies. Une liste d'indicateurs a été ensuite proposée permettant la comparaison entre pays. Une première liste d’indicateurs aura été arrêtée par les Nations Unies, puis après un toilettage une liste de 58 indicateurs a finalement été retenue (Nations Unies, 2000). Pour les entreprises, le même travail a été entrepris avec la "Global Reporting Initiative" lancée, fin 1997, par la Coalition for Environnementaly Responsible Economies, le PNUE Industrie et des ONG. Cette initiative visait à concevoir, diffuser et promouvoir un rapport standard avec des mesures de base et des mesures spécifiques sectorielles (GRI, 1999, GRI, 2000, GRI 2002), qui puisse faire du rapport (reporting) de durabilité au niveau de l’entreprise un outil aussi crédible que les rapports financiers en termes de « comparabilité, d’auditabilité et de pratiques généralement acceptées ». Le programme d’action de Johannesburg consacre cette initiative.

Le développement durable impose-t-il un changement de rationalité ?

18Que l’on s’intéresse à réconcilier l’entreprise avec les valeurs de la société ou plus largement avec la problématique du développement durable, il est question de développer de nouveaux processus de décisions. Dans les organisations, on peut se référer à quatre types de rationalités (VAN GIGCH, 1987, BRODHAG, 1999b) :

  • La rationalité structurelle qui recouvre la structure du processus de décision : qui fait quoi ?

  • La rationalité substantive qui relève de la "substance" et de la "connaissance" : que fait-on ?

  • La rationalité évaluative qui se réfère aux objectifs visés par le décideur et aux critères d’évaluation des résultats.

  • La rationalité procédurale qui guide le choix des procédures et des prises de décision : comment décide t’on ?

19Les rationalités structurelle et procédurale, prises en compte dans les systèmes de management traditionnels, doivent être compatibles avec les rationalités substantive et évaluative, selon le schéma de la figure 1. Notre hypothèse est qu’un outil ou un référentiel qui n’embrasse pas l’ensemble de ces quatre rationalités ne peux aboutir aux résultats affichés.

Figure 1.  Articulation des différentes rationalités (Brodhag C, Delchet K . 2004)

20Au nom du développement durable ou de la RSE, on assiste à différentes stratégies qui évitent d’aborder la question frontale de la réconciliation du développement économique et de considérations sociales et environnementales. Deux types de dérives sont observées. La première est due à la restriction à une seule des ces quatre rationalités (procédurale, ou évaluative, le plus souvent). La seconde concerne le champ couvert et le contenu même du changement de rationalité substantive exigée par le développement durable : certaines démarches se réclament du « développement durable » alors qu’elles ne couvrent en fait qu’un nombre très limité des aspects qui devraient être considérés dans une perspective de durabilité. Nous détaillons ci-dessous les principes sur lesquels une démarche de développement durable doit reposer, selon les auteurs de cet article.

Le développement durable ne se réduit pas à un système d’indicateurs.

21Approcher le développement durable par la seule évaluation (rationalité évaluative), en fixant une grille d’indicateurs de développement durable n’a aucun effet si ces indicateurs ne sont pas rattachés à la réflexion stratégique et donc à la hiérarchisation des priorités (rationalité substantive) et à la mise en œuvre concrète des décisions (rationalité procédurale). Or on assiste souvent, aussi bien pour les entreprises que pour les pays ou les collectivités locales, à l’élaboration de batteries d’indicateurs sans que celles-ci ne soient intégrées au système de décision. Contrairement à ce que l’on note en général, les lignes directrices de la GRI ne sont pas un simple système d’indicateurs. Les cinq sections proposées pour le rapport de durabilité appartiennent aux différentes rationalités évoquées au-dessus : (1) la Vision et la Stratégie : relèvent de la rationalité substantive . Dans les sections (2) Profil et (3) Structure de Gouvernance et Système de Managemen,t on trouve des éléments de rationalité structurelle et procédurale et enfin la section (5) porte sur la rationalité évaluative à travers les Indicateurs de Performance proprement dits (GRI, 2002).

22Néanmoins, les indicateurs peuvent être un premier pas vers une démarche de développement durable à un niveau plus stratégique, comme on peut l’observer pour des entreprises soumises à la loi NRE (nouvelles régulations économiques) en France. En effet, certaines d’entre elles, après avoir publié des indicateurs conformément à la loi travaillent à la mise en cohérence et leur stratégie.

Le développement durable ne se réduit pas à un système de management

23La recherche d’un système de management intégré en matières de qualité, d’environnement ou d’hygiène sécurité (QSE) appartient bien à la sphère du développement durable. Mais sous prétexte que chacun de ces systèmes s’apparente de près ou de loin à chacun des piliers économique, environnemental et social, on ne peut en conclure que leur intégration serait « le » système de management « développement durable ». Bien entendu, l’utilisation de façon plus ou moins intégrée de référentiels du type ISO 9001 ou 9004 (qualité), ISO 14001 (environnement), OHSAS 18001 (hygiène sécurité) ou SA 8000 (sociétal) peut être utile à la mise en œuvre d’une stratégie de développement durable. Cependant, l’adoption de ces systèmes ne peut pas tenir lieu de stratégie. Celle ci doit fixer des objectifs substantifs. Le mécanise vertueux d’amélioration continue ne doit pas cacher la nécessité de hiérarchiser et de se donner des objectifs de résultats sur des sujets liés aux impacts globaux de l’entreprise. Ainsi, limitation des émissions de gaz à effet de serre, lutte contre la corruption, exigences sur le respect du droit international du travail par les divers partenaires de l’entreprise ne sont pas forcément abordés dans un système de management intégré classique alors que ce items doivent au moins être abordés par un démarche de développement durable.

Le développement durable ne se réduit pas à un discours éthique

24Le développement durable et la RSE sont réputés donner du sens à l’action collective. Certes il est nécessaire qu’une entreprise définisse sa vision et ses valeurs, qu’elle les utilise pour mobiliser son personnel et pour renforcer sa réputation vis-à-vis ses partenaires extérieurs. Mais cela risque de n’être qu’un leurre. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas les bonnes intentions ou les bons sentiments, mais les résultats substantifs.

25Michel Capron et Françoise Quairel ont mis en évidence les deux stratégies possibles de RSE « les stratégies substantielles visant à rapprocher effectivement les objectifs, les méthodes et les structures d’une entreprise des valeurs de la société ; d’autre part, les stratégies symboliques, centrées sur l’image et la réputation, visant à faire accepter le comportement de l’entreprise par la société sans en modifier les fondements (affichage d’objectifs sans moyen d’en vérifier la mise en œuvre, dissimulation ou divulgation partielle d’informations, excuses et justifications, cérémonies n’affectant pas la structure formelle) » (Capron et Quairel Lanoizelee, 2004).

26La vérification du discours éthique peut aussi donner lieu à des excès, tant il touche des fondements culturels qui peuvent être différents d’une communauté à l’autre. La proposition australienne (AS 8000) de s’appuyer sur une charte éthique d’entreprise dont on assurerait la vérification par un mécanisme de dénonciation organisée (whistleblowing), à laquelle participeraient les différents collaborateurs de l’entreprise, peut s’avérer dangereuse dans des cultures où ces mécanismes sont inconnus.

Le développement durable va plus loin que la RSE

27Le discours de la RSE vise à réconcilier les activités de l’entreprise avec les valeurs de la société en répondant aux attentes d’un large groupe de partenaires dépassant les partenaires économiques immédiats que sont les actionnaires et les clients. Fondé en partie sur la théorie des parties intéressées, il y est trop souvent réduit avec pour conséquence un discours utilitariste visant en particulier à construire ou renforcer le capital réputation. Si les parties intéressées locales sont à même de porter des intérêts locaux (pollution des eaux et de l’air, nuisances olfactives ou sonores…), il n’en est pas de même pour des acteurs lointains (pays en développement) ou absents comme les générations futures. Dans sa version commune, la RSE paraît ainsi être une condition nécessaire mais pas suffisante pour la mise en œuvre du développement durable.

28Afin d’illustrer cette hiérarchie, nous avons placé sur le tableau 1 ce qui pourrait caractériser les différents niveaux de performance de la RSE vis-à-vis du développement durable.

Tableau 1.  Les cinq niveaux de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE).

Tableau 1.  Les cinq niveaux de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE).

Le développement durable conduit à reconsidérer le champ de l’environnement

29En quelques années, les préoccupations environnementales ont changé d’échelle. Dans les années 1970, on se limitait aux problèmes immédiats, locaux et visibles. Aujourd’hui il s’agit de prendre aussi en compte des problématiques plus globales (couche d’ozone, effet de serre, biodiversité). Le groupe international d’experts sur le climat préconise une diminution des émissions des pays industrialisés d’un facteur 4, d’ici 2050, pour stabiliser les concentrations de CO2 dans l’atmosphère et limiter l’ampleur des changements climatiques. En adoptant l’indicateur de l’empreinte écologique, on aboutit à cette même nécessité de réduire d’un facteur  4 nos consommations de capital naturel si l’on veut avoir un mode de vie écologiquement durable (Boutaud et coll., 2004). Les impacts environnementaux pris en compte par les systèmes de management environnemental des entreprises concernent surtout l’environnement local et les nuisances perçues par les riverains d’une installation industrielle ou les consommateurs (rejets liquides et atmosphériques, gestion des déchets, par exemple). L’environnement y est surtout considéré comme un milieu, un cadre de vie à ne pas trop détériorer. La prise en compte de l’environnement, comme un capital naturel à préserver au niveau global (utilisation des ressources, questions sur l’effet de serre, etc…) est pourtant un des points de passage obligé d’une approche de développement durable dans les pays du Nord et il s’agit de se fixer des objectifs très ambitieux en termes de modification des modes de production et de consommation. Ainsi, le management environnemental a déjà occasionné un élargissement de la rationalité substantive en intégrant dans les critères décisionnels de l’entreprise la prise en compte de ses impacts environnementaux, au-delà de la stricte rationalité économique. Cependant, le développement durable implique d’encore élargir, dans le temps et dans l’espace, cette rationalité substantive en intégrant des aspects dont les conséquences ne seront peut-être pas supportées directement par l’entreprise dans les deux ou trois années à venir, mais auxquels l’entreprise contribue (sans en être l’unique origine) et dont les effets, encore incertains, risquent de toucher, à plus long terme, des populations pouvant être situées sur l’ensemble de la planète.

Les systèmes proposés

30Différents systèmes sont proposés pour mettre en œuvre concrètement le développement durable. Le projet britannique SIGMA est une initiative de British Standards Institution (BSI), Forum for the Future et AccountAbility, qui propose une stratégie de gestion et valorisation de cinq types de capitaux : naturel, social, humain, technologique et financier. Le processus d’amélioration continue proposé repose sur une obligation de rendre compte auprès des parties intéressées. Il affiche des objectifs substantifs et managériaux.

31La contribution de la France est le texte SD 21000 (AFNOR, 2003), fascicule de documentation rédigé par un groupe de travail de l’AFNOR, et qui décrit un processus permettant aux entreprises de prendre en compte les enjeux de développement durable dans la détermination de leurs stratégies. Ce processus conduit les entreprises à d’identifier leurs enjeux en matière de développement durable  ainsi que leurs parties intéressées. Cette réflexion initiale leur permet alors de hiérarchiser les enjeux et donc d’identifier « les enjeux significatifs » c’est-à-dire ceux sur lequel l’entreprise a un impact ou qui peuvent l’impacter. L’entreprise peut ainsi définir et déployer son programme d’action, à travers son système de management et le système de reporting pour promouvoir une amélioration continue. Ces deux systèmes sont bien évidemment positionnés sur l’ensemble des thèmes du développement durable.

32En revanche d’autres contributions comme l’AS 8000 australien se situent sur le seul plan éthique. Ce dernier propose l’élaboration d’une charte éthique avec vérification de la conformité par un mécanisme de dénonciation formalisé dans l’entreprise (whistle blowing). Le système italien Q-RES propose d’organiser un véritable contrat social avec les partenaires de l’entreprise.

Le SD 21000

33Le SD 21000 (AFNOR, 2003) vise à répondre à deux problématiques. La première est d'aider l'entreprise à identifier sa stratégie de développement durable et à la mettre en œuvre. La seconde est d'organiser un système de transaction permettant à l'entreprise d'organiser ses relations stratégiques (sur les enjeux significatifs) avec des parties externes.

34Si le guide SD 21000 ne remet pas en cause la nécessité qu’a l’entreprise de formaliser ses pratiques managériales, dans la ligne de conduite mise en place par les  normes type ISO 9001 ou ISO14001, la prise en compte du développement durable doit introduire dans le système de management des valeurs et principes qui n’étaient pas forcément pris en compte auparavant par l’entreprise. L’approche du SD 21000 vise, dans un premier temps, à identifier les enjeux stratégiques significatifs selon le processus identifié à la figure 2. Pour actualiser ses principes et pratiques de gouvernance, l’entreprise doit faire preuve d’une ouverture et une prise en compte responsable de ses parties intéressées, au-delà de ses parties intéressées traditionnelles que sont les actionnaires, les clients et les salariés. Une fois ces parties intéressées identifiées, le guide SD 21000 propose l’identification, d’une part, de leurs besoins et attentes et, d’autre part, des besoins et attentes de l’entreprise vis-à-vis de ces parties intéressées afin d’initier d’éventuels partenariats permettant une meilleure prise en compte du développement durable. Cependant, aux enjeux portés par les parties intéressées, s’ajoutent des enjeux qui ne sont pas directement portés par des acteurs, mais qui doivent cependant être pris en compte : principes universels, intérêts des acteurs faibles ou absents, considérations liées au commerce équitable, conventions ou accords multilatéraux, etc. Une fois l’ensemble de ces enjeux identifiés, le SD 21000 demande à l’entreprise d’évaluer les risques qui y sont liés afin de faire émerger les enjeux significatifs. L’entreprise devra ensuite s’appuyer sur ces enjeux significatifs pour dégager sa vision et ses valeurs puis élaborer ses stratégies et sa politique. Elle pourra réaliser des arbitrages entre certains enjeux et ne pas prendre en compte tous les enjeux ayant émergé. Dans ce cas, elle devra justifier son choix de façon claire, notamment vis-à-vis de ses parties intéressées. Ces stratégies et politiques ayant été définies, l’entreprise doit alors élaborer, mettre en œuvre puis suivre son plan d’action selon les méthodes classiques de management, dans une logique d’amélioration continue.

Figure 2.  Le processus du SD 21000

L’outil de diagnostic AFNOR- ENSMSE « développement durable »

35Cependant, le guide SD 21000 ne propose pas de mécanisme opérationnel pour opérer cette hiérarchisation. Nous avons élaboré un guide de diagnostic qui, selon la démarche détaillée sur la Figure 3, permet à l’entreprise d’identifier ses pratiques et priorités en matière de développement durable.

Figure 3.  Le mécanisme mis en œuvre dans l’expérimentation

36La démarche de diagnostic est constituée de 2 parties, miroirs l’une de l’autre.

37Tout d’abord, l’entreprise travaille sur une liste relativement exhaustive d’enjeux potentiels qui lui est proposée . Elle est amenée à s’interroger pour chacun des enjeux sur son niveau de performance selon une échelle comprenant 5 niveaux notés de 0 à 4 :

380. Prise de conscience : Aucune action n'existe pour l'instant.

391. Mesure : l'entreprise évalue la situation pour connaître sa position, ses résultats par rapport aux critères concernés par l'enjeu, elle a mis en place un système de collecte de l'information. Elle identifie certaines actions de progrès.

402. Mise en place d'actions visant à faire progresser les performances de l'entreprise. Ce niveau correspond à l'état de l'art dans le contexte de l'entreprise (branche, localisation), et au moins la conformité réglementaire.

413. Maîtrise partielle d'innovations : L’entreprise a atteint une maturité dans la gestion de l’enjeu vis-à-vis de l’état de l’art (mise en place des meilleures technologies disponibles, par exemple). Elle a identifié et mis en œuvre partiellement la prochaine innovation. Elle mène des actions organisées de veille sur les innovations.

424. Excellence / exemplarité : l’entreprise a généralisé une innovation qui la place à un niveau d’excellence au-delà de l’état de l’art et des pratiques courantes dans le domaine, en stratégie de rupture et avec une vision intégrée.

43Pour chacun des enjeux, des grilles caractérisant ces niveaux de performances ont été définies afin de faciliter la notation pour l’entreprise.

44Pour chaque enjeu, l’entreprise doit également identifier les acteurs susceptibles d’être concernés par la façon dont elle prend en compte ce thème ainsi qu’une note d’importance selon l’échelle suivante :

450. L’objectif est peu conséquent, sa maîtrise n'est pas à l'ordre du jour, il peut être laissé de côté.

461. La non maîtrise de l'enjeu peut mettre en cause ou défavoriser de façon limitée dans le temps et dans l’espace les processus opératoires de l'entreprise. Sa maîtrise favorise des processus opératoires. Cet enjeu n'est pas prioritaire.

472. La non maîtrise de l'enjeu peut mettre en cause la réussite des projets de l’entreprise. Sa maîtrise est indispensable à la réalisation des projets.

483. La non maîtrise de l'enjeu peut mettre en cause l’accomplissement des missions de l’entreprise. Sa maîtrise est indispensable à l’accomplissement de ses missions

494. La non maîtrise de l'enjeu peut mettre en cause l’entreprise dans son existence. Sa maîtrise est indispensable à son existence

50Toutes ces données, performance, importance et parties intéressées associées, caractérisent chacun des enjeux proposés.

51Dans un second temps, l’entreprise doit  effectuer une réflexion similaire à celle des enjeux sur ses parties intéressées. Elle passe ainsi en revue l’ensemble de ses parties intéressées et évalue le niveau de relation qu’elle entretient avec cet acteur (sur une échelle de 0 à 4), puis l’importance qu’elle lui accorde (là encore sur le même type d’échelle). L’entreprise doit ensuite caractériser les attentes de chacune des parties intéressées au travers des enjeux proposés.

52Cette réflexion croisée permet d’enrichir la perception qu’a l’entreprise du développement durable mais également de la modifier au regard des attentes de ses partenaires éventuels. Toute l’originalité et la nouveauté de cette approche est d’ouvrir la réflexion de l’entreprise aux acteurs et à leurs attentes et par là même d’enrichir la vision et la stratégie à des problématiques plus long terme.

53L’analyse et la compilation des données permettent de corriger l’importance de certains enjeux : la comparaison de l’importance initiale, donnée par l’entreprise à un enjeu, avec l’importance résultant des attentes des parties concernées pour cet enjeu, pondérée de l’importance accordée par l’entreprise à chaque partie intéressée, met en évidence d’éventuelles erreurs de perceptions.

54Cette approche croisée permet ensuite d’identifier les enjeux significatifs en croisant la performance de chacun des enjeux et leur importance après la prise en compte des attentes des parties intéressées. La figure 4 caractérise la clef d’analyse utilisée.

Figure 4.  Croisement Performance / Importance des enjeux

55Ainsi, différentes catégories d’enjeux apparaissent : ceux d’une importance inférieure à 2 peuvent être considérés comme non significatifs. Ceux dont l’importance et la performance sont supérieures à 2 sont à conforter car ils sont probablement déjà pris en compte par l’entreprise. Par contre, ceux dont l’importance est supérieure à 2, mais dont le niveau de performance est évalué au dessous de 2 doivent entraîner une action, voire une réaction rapide de l’entreprise.

56Lors de l’élaboration de son programme d’action l’entreprise est conduite à s’interroger sur les aides qu’elle peut obtenir auprès des parties intéressées qui disposent de leviers d’action.  L’entreprise constitue son système d’information en constituant des fiches sur les enjeux, les parties intéressées et les actions.

Premiers enseignements des expérimentations

57Ce mécanisme est en cours d’expérimentation dans le cadre d’une expérimentation mobilisant des groupes de 10 à 15 entreprises dans plusieurs régions françaises.

58Au-delà des améliorations méthodologiques que peuvent apporter ces expérimentations, des premiers enseignements sur la perception qu’ont les entreprises françaises du développement durable peuvent d’ores et déjà être tirés. En particulier, si la prise en compte des parties intéressées entre dans une logique d’ouverture croissante de l’entreprise sur ses divers partenaires, il est plus difficile de faire émerger des enjeux qui ne sont, à l’heure actuelle, pas directement portés par des acteurs « forts » dans sa stratégie. Par exemple, de nombreuses entreprises ne se sentent pas concernées a priori par les enjeux globaux et de long terme tels que la question de l’effet de serre ou la question énergétique.

59Une autre question qui émerge est celle du poids décisionnel, souvent mineur, que peut avoir l’entreprise par rapport aux enjeux qui la concerne. De nombreuses PMI / PME, en particulier, subissent souvent certains enjeux (concurrence issue de pays ayant des coûts de production plus faible, obligation de réduire de façon drastique les coûts de production, par exemples), plutôt qu’elle ne les maîtrisent. Dans un contexte économique difficile, la question se pose de savoir en quoi la prise en compte des enjeux globaux du développement durable peut donner des opportunités stratégiques d’anticipation pour ces entreprises qui sont plus souvent dans la position de subir des contraintes déjà nombreuses, que dans  celle de « donneurs d’ordre »,

60Pour répondre à ce type de questions, il apparaît nécessaire d’identifier les leviers d’action de l’entreprise. Ceux-ci sont souvent situés au niveau d’autres acteurs de son réseau productif (sous-traitants, donneurs d’ordre). Par réseau productif, on entend une vision élargie d'une filière qui est orientée entièrement vers un service (habitat, mobilité, habillement, alimentation, loisirs…) qui est l'échelle qui permet des substitutions et des innovations techniques et organisationnelles, comme le passage du produit au service, la dématérialisation éventuelle. Ainsi, à l’image de nombreuses entreprises qui passent aujourd’hui d’une logique de management environnemental vers des démarches d’écoconception, il semble parfois nécessaire d’étendre l’analyse des enjeux liés au développement durable au niveau des différents acteurs ayant un rôle par rapport au service considéré (« du berceau à la tombe »). Mais la question de la définition des frontières de ce réseau productif reste difficile à préciser dans un contexte mondialisé où un donneur d’ordre peut trouver ses fournisseurs dans le monde entier : quels sont dans ce cas les acteurs à impliquer pour identifier les enjeux liés à une filière ? Comment organiser des transactions à une échelle plus large (réseau productif ou territoire de l’entreprise, par exemple) pour laquelle une approche collective coordonnée est nécessaire ?

Conclusion

61Le SD 2100 est conforme aux recommandations du SAG (SAG ISO, 2004) et pourrait servir de base aux développements à venir au sein de l’ISO. Il contient des lignes directrices (guidance) mais pas de spécifications conduisant à une vérification de conformité. La commission de normalisation considérait que le développement durable ne pouvait relever d’un système de management certifiable par tierce partie. Il est orienté vers les résultats et la performance notamment à travers la grille de performance. Le mécanisme de base est adaptable à différents contextes et est compatible avec d’autres outils comme les engagements internationaux, les systèmes de management et systèmes d’indicateurs. La méthodologie opérationnelle a été utilisée par des PME. Il permet d’identifier les parties intéressées leurs demandes et la communication à leur égard. En revanche, il n’est pas prévu de mécanisme visant à crédibiliser les revendications de performance (véracité de l'information), mais si l’ISO s’orientait dans cette direction le SD 21000 pourrait s’y prêter.

Haut de page

Bibliographie

AFNOR, 2003, Fascicule de documentation SD 21000, Développement durable - Responsabilité sociétale des entreprises. Guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l'entreprise, FD X 30-021

BOUTAUD A., 2002, Elaboration de Critères et Indicateurs de Développement Durable (CIDD) pour les collectivités locales, Rapport ADEME n°1

BOUTAUD A., GONDRAN N., BRODHAG C., 2004, Quand le développement perd le Nord, Colloque développement durable leçons et perspectives, AUF AIF, Ouagadougou 1er au 4 juin 2004

BRODHAG C., 1999b, From rationality to governance : decision process of sustainable development, International Journal for Sustainable Development, Special Issue on Science for Sustainable Development, 1999, vol.2, n°3, pp. 388-396.

BRODHAG C., 2003, Le principe de précaution, les Echos, vendredi 4 avril

BRODHAG C., DELCHET K., 2004a, Audit et développement durable, Classeur Audit et autoévaluation, AFNOR

BRODHAG C., BREUIL F., GONDRAN N., OSSAMA F., 2004b, Dictionnaire du développement durable, AFNOR éditions, mars 2004

BRODHAG C., 2004c, Réseaux, information et transaction, Colloque développement durable leçons et perspectives, AUF AIF, Ouagadougou 1er au 4 juin 2004

BRUNDTLAND G., 1987, Notre avenir à tous, Commission mondiale de l'environnement et du développement, Edition du Fleuve, Montréal

CALLON M., LATOUR B., 1991, Réseaux technico-économiques et irréversibilités, in Les figures de l'irréversibilité en économie, sous la direction de Robert BOYER, Bernard CHAVANCE, Olivier GODARD. Paris : Editions de l'EHESS,

CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., 2004, Mythes et réalités de l'entreprise responsable, Edition Alternatives économiques, la Découverte

CCE, 2001, Livre vert de la Commission des communautés européennes du 18 juillet 2001 : promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises.

COPOLCO, 2002, The Desirability and Feasibility of ISO Corporate Social Responsibility Standards, Final Report, Prepared by the “Consumer Protection in the Global Market” Working Group of the ISO Consumer Policy Committee (COPOLCO) May 2002, http://europa.eu.int/comm/employment_social/soc-dial/csr/isoreport.pdf, 77p

FREEMAN R. E., 1984, Strategic management : a stakeholder approach, Marshall, M. A. Pitman, Boston

GRAILLOT D., PIATYSZEK E., BRODHAG C., 2003, Principes et méthodes, Rôle de l’observatoire de l’environnement dans les démarches de développement durable, 20 et 21 janvier 2003, Rencontres nationales des observatoires de l’environnement 2002/03, version courte publiée dans les Cahiers de l’Idea, http://www.idea-reseau.org/cahiersidea.htm) version longue : http://agora21.emse.fr/articles/articles.htm#12

GRI, 1999, Exposure Draft, Sustainability Reporting Guideline, http://www.globalreporting.org/

GRI, 2000, Leveraging Investment, Corporate Accountability, and Disclosure to Advance Sustainability, Washington University, http://www.globalreporting.org/

GRI, 2002, Introducing the 2002 Sustainability Reporting Guidelines, www.globalreporting.org

ICLEI, 2002, Local governments’ response to Agenda 21 : summary report of local Agenda 21 survey with regional focus, may 2002, http://www.iclei.org/johannesburg2002/final_document.html

METZL J. F., 2001, Network Diplomacy, Georgetown Journal of International Affairs Winter/Spring 2001, http://www.ceip.org/files/publications/network_diplomacy.asp

Nations Unies, 2002, Plan de mise en œuvre du Sommet mondial pour le développement durable, Johannesburg (Afrique du Sud), 26 août-4 septembre 2002, A/CONF.199/20, §17a

Nations Unies, 1995, Commission on sustainable development, 3nd session, http://www.agora21.org/cdd3/cdd00.html, http://www.un.org/esa/sustdev/isd.htm

Nations Unies, 2000, Report of the consultative group to identify themes and core indicators of sustainable development, United Nation Division of Sustainable Development, New-York

OCDE, 2000. Les Principes Directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Disponible sur http://www.oecd.org/dataoecd/56/39/1922470.pdf

OCDE, 2003. Les approches volontaires dans les politiques de l'environnement - Efficacité et combinaisons avec d’autres instruments d’intervention. Octobre 2003. 154 p.

SAG ISO, 2004, Recommendations to the ISO Technical Management Board, ISO/TMB AG CSR N32, 30 April 2004

UNEP, 1998, Responsible entrepreneurship, Background Paper n°4, CSD 6, 20 April 1 May 1998

VAN GIGCH J. P., 1987, Decision making about decision making – Metamodels and metasystems, Cambridge : Abacus press, 293 p.Image6

Haut de page

Table des illustrations

URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/3482/img-1.png
Fichier image/png, 36k
Titre Tableau 1.  Les cinq niveaux de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE).
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/3482/img-2.png
Fichier image/png, 39k
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/3482/img-3.png
Fichier image/png, 76k
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/3482/img-4.png
Fichier image/png, 58k
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/3482/img-5.png
Fichier image/png, 20k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Christian Brodhag, Natacha Gondran et Karen Delchet, « Du concept à la mise en œuvre du développement durable : théorie et pratique autour de guide SD 21000 »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 5 Numéro 2 | novembre 2004, mis en ligne le 01 novembre 2004, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/3482 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.3482

Haut de page

Auteurs

Christian Brodhag

Délégué Interministériel au Développement Durable, Directeur de Recherche au centre SITE de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne, Il préside le groupe de travail de l'AFNOR sur le développement durable, christian.brodhag@ecologie.gouv.fr

Natacha Gondran

Enseignante - chercheure à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne, Docteur en sciences et techniques du déchet Centre SITE (Sciences, Information et technologies pour l'Environnement), ENS des Mines de Saint-Etienne (ENSMSE), 158, cours Fauriel  42023 SAINT ETIENNE cedex 2, gondran@emse.fr

Articles du même auteur

Karen Delchet

Doctorante, effectue une thèse CIFRE au centre SITE de l’ENSMSE et à CAP-AFNOR sur l’expérimentation du SD 21000. CAP AFNOR, 11, avenue Francis de Pressensé, 93571 Saint Denis La plaine cedex, karen.delchet@afnor.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search