Les Alpes entre mythes et réalités
Claude Raffestin Université de Genève, département de Géographie, 112 Bd Cari, Vogt, 1011 Genève, Suisse claude.raffestin® geo.unige.cn
D'une réalité à l'autre...
Elle est révolue l'époque de la géographie triomphante au cours de laquelle certains auteurs croyaient, encore, que la représentation qu'ils donnaient des Alpes pouvait être le résultat d'une fantastique moisson d'informations, rassemblée sur le terrain, dont ils tiraient des fresques puissantes, l'adjectif n'est pas abusif, pour restituer « la réalité » alpine. Ainsi, légitimaient-ils leur droit à « écrire » les Alpes. La préoccupation du détail, chez la plupart d'entre eux, leur a fait oublier, souvent, que toute représentation doit affronter un formidable paradoxe. Derrière des « présents » successifs, dont les images sont sans cesse remaniées dans le détail, se dissimulent des «passés», sous forme de structures qui continuent à encadrer tous les changements. En d'autres termes, si la « sémantique » est modifiée dans le détail, la « syntaxe » subsiste en gros. Sans doute, est-ce le paradoxe géographique le plus puissant qui se puisse observer et qui caractérise les Alpes en particulier et la montagne en général.
Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir « L'homme et la montagne » de Jules Blache écrit en 1933 l. De la partie consacrée aux Alpes plus rien, ou presque, ne subsiste dans le détail : les transhumances ont quasiment disparu ou se sont transformées, de même que les migrations saisonnières et la pratique des petits métiers pour ne prendre que ces exemples. Pourtant, d'autres mouvements ont pris la place des anciens, les touristes ont remplacé les bêtes, des métiers nouveaux sont apparus si bien que « le visiteur qui fait les Alpes peut encore rêver sur les apparences de la terre primitive, comme sur l'authenticité des vieilles maisons, vieux villages, vieilles pierres, des vieux objets comme sur la vieille "race" de la population»2.
Les Alpes dressent une « Méditerranée » pétrifiée, entre le Nord et le Sud de l'Europe occidentale et contraignent à la transgression, l'un des moteurs de l'histoire européenne. Les Alpes ne sont pas seulement un écoumène marginal et un habitat difficile, mais aussi et surtout un complexe à traverser, en d'autres termes une mosaïque de lieux
1. cf. Jules Blache, L'homme et la montagne, Gallimard, Paris 1933. 2. Bernard Crettaz, Dix questions pour réinterpréter une «Découverte» in L'homme et les Alpes, Éditions Glénat, Grenoble 1992, p. 35.
REVUE DE GÉOGRAPHIE ALPINE 2001 №4