Intellectica, 2016/ 1, 65, pp. 223-225 © 2016 Association pour la Recherche sur la Cognition. Robotique et société

Guillaume DUMAS & John STEWART#

L’introduction – et les articles qui composent le dossier – accordent une large place aux approches dites «bio-inspirées » en robotique. À ce propos, il est essentiel de reconnaître un fait majeur : les organismes vivants sont

autopoïétiques, c’est-à-dire qu’ils se fabriquent eux-mêmes, alors que les robots (y compris ceux qui sont «bio-inspirés » ) sont hétéro-poïétiques, c’està-dire qu’ils sont fabriqués par des ingénieurs humains. Cela limite singulièrement la portée de cette inspiration biologique. Évidemment, les ingénieurs ont parfaitement le droit de rechercher de l’inspiration heuristique là où ils peuvent la trouver – c’est d’ailleurs le but de la bionique depuis les années 60 (Steele , 1960) ; il n’en reste pas moins que leurs robots sont des créations humaines, et doivent être évalués – comme n’importe quel autre objet ou système technique – par leurs effets sur la condition humaine. Le dossier n’approfondit pas vraiment cette dimension et il semblait important de brièvement en discuter, dans l’attente d’articles ou de dossiers futurs sur cette problématique épineuse. Un exemple peut servir à illustrer l’ampleur des enjeux potentiels de la robotique pour la condition humaine. L’automatisation des chaînes de production – avec ou sans des robots plus ou moins humanoïdes – signifie que des machines réalisent des tâches autrefois accomplies par des employés salariés. Bernard Stiegler (2015) a fait valoir que les conséquences de cette substitution, pour le meilleur ou pour le pire, sont considérables. Un autre exemple serait celui des drones, qui modifient à la fois la manière de conduire et de percevoir la guerre (Sparrow, 2007), et en particulier la manière de