Revue de la littératureConséquences de l’inter-relation des systèmes monoaminergiques dans l’activité antidépressiveConsequences of the monoaminergic systems cross-talk in the antidepressant activity
Introduction
Le trouble dépressif majeur est le trouble psychiatrique le plus fréquemment rencontré en France avec une prévalence d’environ 8 %. Les symptômes associés au trouble dépressif majeur seraient à la fois des conséquences de prédispositions génétiques [1] et de facteurs environnementaux [2] qui affecteraient des interactions de circuits neuronaux complexes tel que la boucle qui lie le cortex médian préfrontal au noyau du raphé [3]. Les thérapeutiques actuelles dans le traitement de la dépression mobilisent les systèmes monoaminergiques. Chaque neurotransmission monoaminergique participe seule ou en combinaison avec les autres, aux différents aspects du comportement émotionnel (Tableau 1). Ainsi, en fonction du tableau clinique du patient, le traitement antidépresseur prescrit aura pour cible les neurotransmissions associées aux symptômes décrits.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont la classe d’antidépresseurs la plus prescrite. Cette classe de molécules cible le transporteur de la sérotonine (SERT) dont ils bloquent le fonctionnement provoquant ainsi une augmentation de la transmission sérotoninergique. Ils sont définis comme sélectifs car, in vitro, leur affinité pour SERT est 10 à 3000 fois supérieure au transporteur de la noradrénaline [4]. Par ailleurs, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont également utilisés pour leur propriété anxiolytique et constituent ainsi une bonne alternative à l’utilisation des benzodiazépines [5].
Malgré des progrès majeurs réalisés depuis la découverte des premières générations d’antidépresseurs, les inhibiteurs des monoamines oxydases et les antidépresseurs tricycliques [6], [7], les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine actuellement disponibles restent imparfaits. D’une part, la réponse thérapeutique se développe lentement (2 à 3 semaines). D’autre part, un pourcentage significatif de patients résiste au traitement et/ou développe des formes récurrentes [8]. En effet, seuls environ 30 % d’entre eux sont en rémission à 3 mois. Si l’action pharmacologique des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine a pour cible principale le système sérotoninergique, ce dernier est connecté anatomiquement aux autres systèmes monoaminergiques, noradrénergique et dopaminergique. Ceux-ci projettent aussi dans les structures limbiques et participent à la modulation de l’humeur. Des données issues de l’essai clinique STAR*D ont montré une augmentation du nombre de patients répondeurs dès lors qu’une composante monoaminergique complémentaire était mobilisée [9].
Sans être exhaustif, cet article s’attachera à présenter dans un premier temps les systèmes monoaminergiques sérotoninergique, dopaminergique et noradrénergique et leurs inter-relations fonctionnelles. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux conséquences d’une administration unique, puis chronique d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine sur les différents systèmes monoaminergiques. Enfin, nous verrons comment la modulation des neurotransmissions monoaminergiques peut permettre de traiter au mieux les patients souffrants de trouble dépressif majeur.
Section snippets
Le système sérotoninergique
Les corps cellulaires des neurones sérotoninergiques composent 30 % des neurones des noyaux du raphé localisés au niveau du tronc cérébral [10], [11], [12] (Fig. 1A). Les noyaux du raphé regroupent 9 noyaux dont les noyaux dorsaux, médians (supérieur et inférieur), obscurus (B1), pallidus (B2) et magnus (B3). Ils ont des projections diffuses qui vont concerner l’ensemble du système nerveux central [13]. Les noyaux du raphé magnus, pallidus et obscurus se projettent principalement vers la moelle
Conséquences sur les systèmes monoaminergiques d’une administration aiguë d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine
L’inhibition du SERT après administration unique d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ne se traduit pas par un effet de type antidépresseur. Toutefois cette application aiguë ne se révèle pas totalement sans effet : chez des volontaires sains, elle modifie le traitement de l’information sociale. Cela se traduit par une plus grande sensibilité à la détection des expressions faciales des humeurs (peur ou joie) [32].
Les raisons du délai d’action des traitements antidépresseurs
Administration chronique d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, conséquences sur les systèmes monoaminergiques
Si la transmission monoaminergique est peu affectée suite à une administration aiguë d’inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, il en est tout autrement suite à une administration chronique (Fig. 2B).
Potentialiser plusieurs neurotransmissions monoaminergiques
Des études cliniques ont montré que l’association d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine avec un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline ou avec un inhibiteur de la recapture de la dopamine induisait un effet antidépresseur supérieur au traitement avec l’inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine seul [76], [89]. Une co-administration d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine avec un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline semble être
Conclusions et perspectives
Les systèmes monoaminergiques, cibles des antidépresseurs, sont anatomiquement interconnectés. L’effet global de l’élévation de 5-HT induite par un traitement chronique par un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine entraîne certes des effets antidépresseurs, mais aussi des effets indésirables. Ceux-ci sont conditionnés essentiellement par les trois systèmes monoaminergiques que nous avons détaillés. Même si une nouvelle génération d’antidépresseurs émerge avec des cibles plus
Déclaration de liens d’intérêts
Raphaël Gaillard déclare avoir participé à des interventions ponctuelles (essais cliniques, travaux scientifiques, activités de conseil, conférences, colloques) pour les entreprises : AB Sciences, Astra Zeneca, Boehringer, BMS, Pierre Fabre, Janssen, Lilly, Lundbeck, Otsuka, Recordati, Roche, Sanofi, Servier, Takeda.
Alain M. Gardier déclare avoir participé à des interventions ponctuelles (activité de conseil, travaux scientifiques) pour les entreprises : Lundbeck, Pfizer, Pierre Fabre, Servier.
Références (112)
- et al.
In vivo inhibition of neuronal activity in the rat ventromedial prefrontal cortex by midbrain-raphe nuclei: role of 5-HT1A receptors
Neuropharmacology
(2003) - et al.
Second-generation SSRIs: human monoamine transporter binding profile of escitalopram and R-fluoxetine
Biol Psychiatry
(2001) - et al.
Efferent projections of nucleus locus coeruleus: morphologic subpopulations have different efferent targets
Neuroscience
(1986) - et al.
Distribution of alpha 2 agonist binding sites in the rat and human central nervous system: analysis of some functional, anatomic correlates of the pharmacologic effects of clonidine and related adrenergic agents
Brain Res
(1984) - et al.
Distribution of alpha 1a-, alpha 1b- and alpha 1d-adrenergic receptor mRNA in the rat brain and spinal cord
J Chem Neuroanat
(1997) The projections of the ventral tegmental area and adjacent regions: a combined fluorescent retrograde tracer and immunofluorescence study in the rat
Brain Res Bull
(1982)- et al.
Noradrenergic augmentation of escitalopram response by risperidone: electrophysiologic studies in the rat brain
Biol Psychiatry
(2007) - et al.
Perospirone, a novel atypical antipsychotic drug, potentiates fluoxetine-induced increases in dopamine levels via multireceptor actions in the rat medial prefrontal cortex
Neurosci Lett
(2004) - et al.
Effects of acute fluoxetine on extracellular serotonin levels in the raphe: an in vivo microdialysis study
Eur J Pharmacol
(1995) 5-HT and antidepressants: new views from microdialysis studies
Trends Pharmacol Sci
(1993)
Uptake inhibitors increase extracellular serotonin concentration measured by brain microdialysis
Life Sci
The effects of selective serotonin reuptake inhibitors on extracellular 5-HT levels in the hippocampus of 5-HT(1B) receptor knockout mice
Eur J Pharmacol
Reciprocal connections between subdivisions of the dorsal raphe and the nuclear core of the locus coeruleus in the rat
Brain Res
Firing of 5-HT neurones in the dorsal and median raphe nucleus in vitro shows differential alpha1-adrenoceptor and 5-HT1A receptor modulation
Neurochem Int
Noradrenergic modulation of serotonin release in rat dorsal and median raphe nuclei via alpha(1) and alpha(2A) adrenoceptors
Neuropharmacology
Effect of antipsychotic drugs on extracellular serotonin levels in rat medial prefrontal cortex and nucleus accumbens
Eur J Pharmacol
Effect of antidepressants on striatal and accumbens extracellular dopamine levels
Eur J Pharmacol
R-fluoxetine increases extracellular DA, NE, as well as 5-HT in rat prefrontal cortex and hypothalamus: an in vivo microdialysis and receptor binding study
Neuropsychopharmacology
Brain region and dose effects of an olanzapine/fluoxetine combination on extracellular monoamine concentrations in the rat
Neuropharmacology
Selective serotonin reuptake inhibitors reduce the spontaneous activity of dopaminergic neurons in the ventral tegmental area
Brain Res Bull
Desensitization of 5-HT(1A) autoreceptors by a low chronic fluoxetine dose effect of the concurrent administration of WAY-100635
Neuropsychopharmacology
[5-HT1B serotonin receptors and antidepressant effects of selective serotonin reuptake inhibitors]
C R Acad Sci III
A 5-HT3 receptor antagonist potentiates the behavioral, neurochemical and electrophysiological actions of an SSRI antidepressant
Pharmacol Biochem Behav
The pharmacological basis of the serotonin system: application to antidepressant response
L’Encéphale
Antidepressant and tolerance: determinants and management of major side effects
L’Encéphale
Partial role of 5-HT2 and 5-HT3 receptors in the activity of antidepressants in the mouse forced swimming test
Eur J Pharmacol
Mirtazapine and paroxetine in major depression: a comparison of monotherapy versus their combination from treatment initiation
Eur Neuropsychopharmacol
Sertraline increases extracellular levels not only of serotonin, but also of dopamine in the nucleus accumbens and striatum of rats
Eur J Pharmacol
Serotonin 5-HT2C receptors as a target for the treatment of depressive and anxious states: focus on novel therapeutic strategies
Therapie
Antidepressant-like effects of dopamine agonists in an animal model of depression
Biol Psychiatry
Dopaminergic mechanism of imipramine action in an animal model of depression
Biol Psychiatry
Dopaminergic mechanism of antidepressant action in depressed patients
J Affect Disord
Serotonin-2C antagonism augments the effect of citalopram on serotonin and dopamine levels in the ventral tegmental area and nucleus accumbens
Neurochem Int
Neurotransmitter hypotheses of depression. Research update
Psychiatr Clin North Am
Reflections on the relationship between psychiatric genetics and psychiatric nosology
Am J Psychiatry
Epigenetic regulation of the glucocorticoid receptor in human brain associates with childhood abuse
Nat Neurosci
Efficacy of treatments for anxiety disorders: a meta-analysis
Int Clin Psychopharmacol
Placebo-controlled efficacy of antidepressants in continuation treatment
Int Clin Psychopharmacol
Efficacy and acceptability of pharmacological treatments for depressive disorders in primary care: systematic review and network meta-analysis
Ann Fam Med
Bupropion-SR, sertraline, or venlafaxine-XR after failure of SSRIs for depression
N Engl J Med
STAR*D: revising conventional wisdom
CNS Drugs
Localization of monoamines in the lower brain stem
Experientia
On the relationship of 5-hydroxytryptamine neurons to 5-hydroxytryptamine 2A receptor-immunoreactive neuronal processes in the brain stem of rats. A double immunolabelling analysis
Neuroreport
Stahl's essential psychopharmacology
Evidence for the existence of monoamine neurons in the central nervous system. Iv. Distribution of monoamine nerve terminals in the central nervous system
Acta Physiol Scand Suppl
Anatomy of central serotoninergic projection systems
Chemically defined collateral projections from the pons to the central nucleus of the amygdala and hypothalamic paraventricular nucleus in the rat
Cell Tissue Res
A PHA-L analysis of ascending projections of the dorsal raphe nucleus in the rat
J Comp Neurol
Requirement of hippocampal neurogenesis for the behavioral effects of antidepressants
Science
Evidence for the existence of an outflow of noradrenaline nerve fibres in the ventral roots of the rat spinal cord
Experientia
Cited by (8)
MKP1 may be involved in the occurrence of depression by regulating hippocampal autophagy in rats
2024, Behavioural Brain ResearchEffects of Fuhe decoction on behaviors and monoamine neurotransmitters in different brain regions of CUMS combined with social isolation depression model rats
2020, Journal of Traditional Chinese Medical SciencesCitation Excerpt :Tricyclic antidepressants, 5-TH reuptake inhibitors and other drugs that exert antidepressant effects by improving the functioning of monoamine transmitters and their receptors have played an important role in clinical treatment. However, they incur serious side effects and many adverse reactions; in addition, recurrence rates remain high.2–5 Chinese medicine has a unique theoretical underpinning and a long-standing proven practical applicability.
Temporal development of behavioral impairments in rats following locus coeruleus lesion induced by 6-hydroxydopamine: Involvement of β <inf>3</inf> -adrenergic receptors
2019, NeuropharmacologyCitation Excerpt :The neurons from raphe nucleus are connected to the LC through GABAergic inhibitory interneurons, which decrease NA release. In contrast, positive reciprocal connections are projected from the LC to the raphe nucleus, stimulating the serotoninergic activity (Tritschler et al., 2018). The restoring effects of the i.n. NA infusion on the olfactory discrimination, STM and LTM in the object recognition test and depressive-like behavior corroborate with the hypothesis of central noradrenergic dysfunction caused by 6-OHDA injection into the LC.