Elsevier

L'Encéphale

Volume 40, Issue 3, June 2014, Pages 240-246
L'Encéphale

Psychiatrie de l’enfant
Évaluation d’un programme de remédiation cognitive au sein d’un groupe d’enfants et d’adolescents anorexiques français : étude exploratoireCognitive remediation therapy for children and adolescents with anorexia nervosa in France: An exploratory study

https://doi.org/10.1016/j.encep.2013.10.004Get rights and content

Résumé

Objectifs

La remédiation cognitive (CRT) est une technique apparaissant de plus en plus intéressante pour le traitement de l’anorexie mentale chez l’adulte. Nous proposons d’adapter cette technique à un groupe d’enfants et d’adolescents âgés de 12 à 17 ans hospitalisés dans notre unité pour anorexie mentale.

Méthode

Nous avons proposé à 10 patients hospitalisés pour anorexie mentale, des séances hebdomadaires de CRT d’une heure chacune pendant 10 semaines afin d’en évaluer d’abord la faisabilité et l’acceptabilité. Une évaluation neuropsychologique a été effectuée avant et, pour ceux ayant suivi la totalité des séances, après traitement. Des lettres de feedback ont été recueillies après chaque séance afin d’améliorer le déroulement et le contenu du programme en vue de son application thérapeutique et de recherches futures.

Résultats

Les résultats préliminaires suggèrent que cette technique est acceptable pour ce type de population. Les résultats aux tests neuropsychologiques sont encourageants, et le traitement des lettres de feedback nous a permis de modifier certains points du programme.

Conclusion

Dans le futur, les études nécessiteront un échantillon plus large, des méthodes d’évaluation plus sensibles, ainsi qu’une nouvelle évaluation du mode de déroulement et du contenu du programme.

Summary

Objective

Cognitive remediation therapy (CRT) seems to be increasingly interesting in the treatment of anorexia nervosa for adult patients. We attempted to apply this support to a group of young inpatients, initially to assess its feasibility and acceptability, and then to improve its content for therapeutic application and future research.

Methods

Ten 12- to 17-year-old inpatients with primary DSM-IV diagnosis of anorexia nervosa participated in a 10-week intervention program with a one-hour group session of CRT per week. All 10 patients were assessed before the intervention and those who completed the 10 sessions were assessed after. Assessment included a clinical examination by a psychiatrist, a battery of clinical inventories, and set-shifting tests. Moreover, each patient wrote a letter providing feedback on the intervention for subsequent analysis.

Results

Only two patients completed all 10 sessions, the other eight who were discharged from the hospital in the meantime could not attend the sessions for practical reasons. After the 10 sessions, an improvement in BMI and in measured levels of some psychopathological symptoms was observed in our two patients. Most neuropsychological task performances were improved after cognitive remediation. Feedback from the 10 patients was generally positive.

Conclusion and implications for practice

This preliminary investigation suggests that cognitive remediation therapy is acceptable and feasible in this population. Replication of these findings requires a larger sample, improvement of the trial design, more sensitive measures, and another training format to avoid loss of so many participants.

Introduction

Initialement utilisée dans la prise en charge de patients cérébrolésés puis schizophrènes, la remédiation cognitive (CRT) a suscité un intérêt grandissant ces dernières années dans le champ de la psychiatrie [1], [2], [3].

L’anorexie mentale est une pathologie mentale sévère pour laquelle peu de thérapeutiques existent : les traitements pharmacologiques n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité, seule la thérapie familiale pour les patients adolescents est recommandée [4], [5], [6], [7].

L’essor récent de la recherche en neuropsychologie chez les adultes anorexiques a permis d’isoler au sein de cette population une flexibilité mentale moindre [4] et une attention excessive portée aux détails [8], [9], ces fonctions cognitives sans être « défaillantes » sont retrouvées subnormales par rapport à la population générale [10].

La flexibilité (le terme plus global de set-shifting est utilisé par les Anglo-Saxons) se réfère aux processus d’adaptation des stratégies cognitives en réponse aux changements d’environnement. Les personnes atteintes d’anorexie mentale ont des difficultés pour passer d’une stratégie à une autre ou d’un stimulus à un autre ou à faire plusieurs tâches en même temps.

Cette façon de penser se manifeste dans la façon dont les patients abordent les tâches quotidiennes et leurs attitudes alimentaires ; de cette façon, les anomalies neurocognitives spécifiques pourraient jouer un rôle dans le développement et la persistance du trouble [11], [12].

La prise de poids seule n’améliore pas ces dysfonctionnements neurocognitifs qui semblent persister après la restauration pondérale.

Ce profil cognitif pourrait même être considéré comme un véritable endophénotype [9], [13], [14], car existant avant la maladie et persistant après, on le retrouve également chez les apparentés sains d’anorexiques.

La recherche sur le fonctionnement neuropsychologique des adolescents anorexiques est limitée, celle sur les enfants anorexiques inexistante. Ainsi, quelques études récentes indiquent que les adolescents anorexiques auraient tout comme les adultes des difficultés de flexibilité cognitive et de cohérence centrale [10], [15], [16], [17], [18].

Dans leur étude, au sein d’un échantillon de 26 adolescentes anorexiques âgées de 12 à 18 ans, Fitzpatrick et al. [15] ont montré de moindres capacités de flexibilité aux tests de Wisconcin (WSCT) et de Trail Making Test (TMT) et de cohérence centrale au test de la figure de Rey. Ces résultats suggèrent que les adolescents anorexiques présenteraient tout comme les adultes des difficultés de flexibilité cognitive et de cohérence centrale [10].

McAnarney et al. [16] ont, sur un échantillon de 24 femmes anorexiques âgées de 14 à 20 ans, comparé les scores de flexibilité à un groupe témoin utilisant le WSCT, la Cambridge Neuropsychological Automated Battery (CANTAB) et le questionnaire de BRIEF, et ont retrouvé de moins bons scores de flexibilité chez les anorexiques par rapport aux sujets témoins.

Allen et al. [18] ont comparé les résultats à la batterie CogState de 58 adolescents présentant un trouble alimentaire à 592 n’en présentant pas ; ces adolescents sont issus de la Western Pregnancy Australian Cohort. Il a été observé la présence de difficultés de flexibilité et de cohérence centrale dans le groupe présentant un trouble du comportement alimentaire.

Enfin, Stedal et al. [17] décrivent le profil neuropsychologique de 150 jeunes patients atteints d’anorexie mentale, montrant des difficultés visuo-spatiales, de flexibilité et de cohérence centrale.

De plus, il a été montré que les patients présentant une anorexie à début précoce présenteraient tout comme les patients plus âgés une rigidité clinique plus importante [19], rigidité qui est considérée comme étant le versant clinique du manque de flexibilité cognitive [4].

D’autre part, ce profil cognitif particulier concorde bien avec les données cliniques et de personnalité décrites chez les patients anorexiques : la rigidité, le perfectionnisme, les traits de personnalité obsessionnelle, le profil tempéramental avec un évitement du danger et peu de recherche de nouveauté [20], [21]. Toutes ces caractéristiques cliniques sont associées à des difficultés de flexibilité cognitive [10].

La CRT va cibler ces processus de pensée à travers des exercices simples, une réflexion et une supervision métacognitive, un encouragement à un mode de pensée plus flexible et plus « globale ».

C’est pourquoi la CRT pourrait être une innovation thérapeutique intéressante pour traiter l’attention excessive aux détails et le manque de flexibilité cognitive de ces patients et pourrait ainsi permettre de réduire le perfectionnisme et la rigidité eux-mêmes sous-tendus par le manque de flexibilité [10].

L’adolescence est une période critique pour le début et le traitement de l’anorexie.

Théoriquement donc, la CRT pourrait être utile pour interrompre ce style cognitif peu adapté avant qu’il ne devienne trop enraciné, et aider les jeunes patients à mieux connaître leurs modes de pensée propres à une période où les changements à la fois cognitifs et biologiques se produisent et où le patient est plus « plastique » ou à même de pouvoir changer ses comportements [22].

Chez l’adulte il a été retrouvé après un programme de remédiation cognitive, une amélioration de l’indice de masse corporelle (IMC), des performances aux tests neuropsychologiques et aux autoquestionnaires de flexibilité cognitive [4], [23]. Ces améliorations persistaient après 6 mois de suivi [24].

Ainsi, les premières études d’efficacité de la CRT chez l’adulte anorexique sont encourageantes.

À ce jour, il n’y a que peu de données concernant l’effet de cette intervention pour une population de patients anorexiques plus jeunes ; à notre connaissance, il n’y a que 3 études publiées, deux d’entre elles concernent une prise en charge en groupe [22], [25] et une étude pilote rapportant une étude de cas avec prise en charge individuelle par CRT [26].

Similaires aux résultats concernant les adultes, il y a encore peu de preuves d’une efficacité de cette intervention pour les enfants et les adolescents, les résultats existants concernant surtout l’acceptabilité de l’intervention et les changements de l’intervention auprès de cette population.

Dans leur étude, Wood et al. [25] ont décrit 9 patients anorexiques de 13 à 19 ans qui ont suivi 10 séances d’un groupe de CRT : l’étude montre une bonne acceptabilité.

Pretorius et al. [22] décrivent 30 adolescentes AM âgées de 12 à 17 ans qui ont suivi un programme de CRT en groupe. Les auteurs rapportent une amélioration de la flexibilité auto-évaluée par l’échelle Cognitive Flexibility Scale et une amélioration des scores à une échelle de motivation au changement après le traitement.

Concernant le choix des tests, dans l’étude sus-citée, Fitzpatrick et al. [15] ont utilisé le test de Wisconsin (WCST), ainsi que le Trail Making Test (TMT) pour évaluer la flexibilité cognitive au sein d’une population de jeunes filles anorexiques de 12 à 18 ans ; de même la figure de Rey est utilisée pour l’évaluation de la cohérence centrale.

L’équipe de Kate Tchanturia [29] utilise également le WSCT, le TMT et le test de Brixton [4], [27], [28].

Il existe des normes pour cette tranche d’âge pour le WSCT et le TMT ; concernant le Brixton, nous l’avons utilisé car il a été très utilisé, tout comme les deux précédents, dans les études déjà publiées ; il n’existe cependant pas de normes pour notre tranche d’âge et nous nous intéresserons uniquement à une comparaison des résultats avant/après [29], [30], [31].

La cotation de la figure de Rey mesurant la cohérence centrale a été proposée par Booth [32]. Il n’existe pas pour l’instant de normes pour les plus jeunes, et les données de la littérature sont plus rares, c’est pourquoi nous n’avons pas utilisé ce test dans le cadre de notre étude pilote.

Les objectifs de notre étude sont :

  • de conduire une première investigation de la remédiation cognitive chez des enfants et adolescents français atteints d’anorexie mentale ;

  • de déterminer si les exercices proposés sont appropriés et acceptables pour les enfants et adolescents anorexiques ;

  • d’utiliser les données recueillies pour améliorer notre module de remédiation cognitive pour enfants et adolescents ;

  • d’observer si l’entraînement cognitif améliore les performances de nos sujets aux tests neuropsychologiques.

Section snippets

Participants

Critères d’inclusion : nous avons inclus tous les patients âgés de 8 à 17 ans, hospitalisés dans notre unité, avec un diagnostic principal DSM-IV d’anorexie mentale restrictive [33].

Critères d’exclusion : nous avons exclu tout patient présentant une pathologie neurologique chronique, un retard mental, ou une histoire personnelle ou familiale d’abus de substances.

Les patients et leur famille ont été informés des objectifs du traitement et de leur droit d’arrêter à n’importe quel moment de la

Échantillon

Deux patients : une fille de 12 ans 9 mois et un garçon de 15 ans ont terminé les 10 sessions du module. Les autres 8 patients qui ont quitté l’hôpital au décours n’ont pu assister à la totalité des séances pour des raisons pratiques.

Présentation des résultats pour les différentes évaluations

Les principales caractéristiques cliniques recueillies avant la CRT et immédiatement après sont présentées pour les 2 patients dans les tableaux ci-dessous, avec l’IMC, les scores aux échelles et questionnaires et aux tests neuropsychologiques.

Les Tableau 1, Tableau 2

Discussion

La CRT pourrait être en rapport avec l’amélioration des symptômes cliniques, cognitifs et du profil tempéramental observés, mais compte tenu de la taille de notre échantillon, nous ne pouvons tirer de conclusion.

De plus, il sera nécessaire d’explorer la flexibilité mentale avec des tests plus spécifiques et qui permettront un contrôle de l’effet re-test, par exemple le TMT de la batterie de Delis et Kaplan, ainsi que la cohérence centrale. En effet, l’amélioration aux tests de WCST et TMT doit

Conclusion

Cette investigation préliminaire suggère que la remédiation cognitive est acceptable et faisable pour les enfants et adolescents anorexiques.

La réplication de ces résultats nécessitera un échantillon plus large, une amélioration du design de l’essai, des mesures plus sensibles et un autre format d’entraînement qui évitera la perte de trop de participants.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

Remerciements

Nous remercions la Fondation de France pour leur support financier.

Références (40)

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