Mémoire
Abolition du discernement : état des lieux des pratiques des experts psychiatres dans l’ouest de la FranceAbolition of judgment: A review of the practices of psychiatric experts in western France

https://doi.org/10.1016/j.amp.2018.04.016Get rights and content

Résumé

Objectifs

Le but de cette étude était d’étudier les caractéristiques des sujets considérés comme irresponsables pénalement en raison d’une abolition du discernement au titre de l’article 122-1, alinéa 1 du Code Pénal.

Matériel et méthode

Cette étude rétrospective recueillait, auprès de huit experts psychiatres exerçant dans l’ouest de la France, l’ensemble des expertises de 2016 ayant comme conclusion l’abolition du discernement. On étudiait alors la fréquence des abolitions, les caractéristiques sociodémographiques des sujets, les pathologies psychiatriques retrouvées selon le DSM-5, les infractions commises, les éléments de justification clinique et les conclusions de l’expert concernant une indication d’hospitalisation sous contrainte, la dangerosité psychiatrique, la curabilité et la réadaptabilité du sujet. Les sujets abolis n’étaient pas toujours considérés comme dangereux (pour 34,3 % des individus) même si le diagnostic de schizophrénie y était corrélé (f = 0,03). L’hospitalisation sous contrainte était proposée dans 50 % des expertises et était associée à la conclusion de dangerosité (f = 0,01).

Résultats

Trente-huit expertises sur les 763 recueillies concluaient à une abolition du discernement, soit une fréquence de 4,98 %. Les sujets souffraient d’un trouble du spectre de la schizophrénie ou d’un trouble délirant paranoïaque (85,2 %). Les arguments cliniques les plus présents étaient les idées délirantes de persécution (23,1 %) à mécanismes intuitif, interprétatif, hallucinatoire ou l’automatisme mental (39,7 %) et le syndrome dissociatif (10,7 %).

Conclusions

Les troubles du spectre de la schizophrénie ou les délires paranoïaques sont les pathologies les plus retrouvées dans les expertises psychiatriques concluant à une abolition du discernement.

Abstract

Objectives

The goal of this study was to determine the characteristics of subjects considered to be criminally irresponsible due to abolition of judgment pursuant to article 122-1, §1 of the French Penal Code.

Materials and methods

This retrospective study gathered every forensic assessment in 2016 that concluded in criminal irresponsibility from eight forensic psychiatrists practicing in the west of France. We proceeded to study the frequency of abolitions, the socio-demographic characteristics of the subjects, the psychiatric pathologies as defined by the DSM-5, the crimes committed, the clinical justifications and the conclusions of the forensic psychiatrist concerning the potential forced hospitalisation of the subject, the psychiatric dangerousness, curability and the ability to readapt of the subject.

Results

Thirty-eight assessments out of the 763 collected concluded in abolition of judgment, a frequency of 4.98%. The subjects suffered from a schizophrenia spectrum disorder or a paranoid delusional disorder (85.2%). The most present clinical elements were paranoid delusions of persecution (23.1%), from intuitive, interpretative, hallucinatory or mental automatism mechanisms (39.7%) and dissociative syndrome (10.7%). Subjects with abolished judgment weren’t always considered dangerous (for 34.3% of individuals) even if a schizophrenia diagnosis was correlated (f = 0.03). Forced hospitalisation was proposed in 50% of assessments and associated with the conclusion of dangerousness (f = 0.01).

Conclusions

Schizophrenia spectrum disorders or paranoid delusional disorders are the most common pathologies in forensic psychiatric assessments concluding in abolition of judgment.

Introduction

L’expertise psychiatrique présentencielle a pour vocation de diagnostiquer la maladie mentale chez les auteurs d’infractions, afin de leur permettre de bénéficier de soins plutôt que d’une sanction pénale [8].

L’abolition du discernement secondaire aux troubles mentaux est une des causes subjectives d’irresponsabilité pénale. Elle est prévue par l’article 122-1, alinéa 1 du Code Pénal de 1994 précisant que « n’est pas déclaré responsable la personne, qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » [25]. Malgré l’existence d’études faisant le lien entre violence et pathologies psychiatriques, il n’est pas possible de lister un ensemble d’états pathologiques conduisant systématiquement à une proposition d’abolition du discernement. De plus, l’expert psychiatre ne propose pas une abolition du discernement uniquement sur l’existence d’une maladie psychiatrique, il a pour mission d’évaluer le lien singulier entre les faits et l’impact de la pathologie mentale du sujet au moment de l’infraction [8], [24].

Peu de données statistiques sont disponibles concernant la fréquence d’application de l’article 122-1 : entre 0,2 et 0,5 % de « non-lieu » pour des raisons psychiatriques en France [17], [18], [21]. Concernant l’étude des pathologies psychiatriques impliquées et du type d’infractions retrouvées, les données sont encore plus rares.

Nous nous sommes donc proposés d’étudier la fréquence des abolitions du discernement et des pathologies psychiatriques sous-jacentes. L’objectif secondaire était de déterminer si la qualité du discernement était modulée par d’autres variables (antécédents psychiatriques, parcours de vie des sujets, consommation de toxiques, dangerosité psychiatrique…).

Section snippets

Méthodes

Nous avons recueilli l’ensemble des rapports d’expertises psychiatriques pénales présentencielles réalisées en 2016 auprès de huit experts psychiatres exerçant dans l’ouest de la France (Cholet, Laval, Le Mans, Nantes, Plouguernevel et Rennes).

Les rapports d’expertises retenus concernaient les auteurs majeurs de délits ou crimes, pour lesquels une proposition d’abolition du discernement avait été retenue. Les diagnostics psychiatriques étaient portés selon la terminologie du DSM-5 et regroupés

Fréquence des propositions d’abolition et pathologies impliquées

Sept-cent-soixante-trois expertises ont été recueillies, 38 avaient pour conclusion une abolition du discernement et du contrôle des actes, soit une fréquence de 4,98 %.

Les pathologies à l’origine d’une abolition du discernement sont majoritairement les troubles du spectre de la schizophrénie ou des délires paranoïaques non dissociatifs pour 29 sujets. On trouve ensuite, à une fréquence similaire, les troubles dépressifs unipolaires sévères (mélancoliques) et les troubles bipolaires (soit sur

Taux d’abolition

Nous retrouvons un taux d’abolition élevé, aux environs de 5 %, comparé aux données relevées dans la littérature judiciaire (entre 0,2 et 0,5 %) [17], [18], [21]. Cependant, nos résultats semblent concorder avec ceux relevés dans plusieurs études récentes qui retrouvent un taux autour de 7 % [16], [19].

Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cet écart. Tout d’abord, le taux de 0,5 % d’irresponsabilité pénale pour troubles mentaux ne concerne que les affaires instruites. De plus, en dehors des

Conclusion

Cette étude a permis d’avoir un regard plus précis sur les pratiques d’expertise présentencielles, en particulier en ce qui concerne l’abolition du discernement en raison d’un trouble psychique au titre de l’article 122-1, al. 1 du Code Pénal. Ainsi, nous avons retrouvé une fréquence de proposition d’abolition de 5 %, majoritairement en lien avec un trouble du spectre de la schizophrénie ou un trouble délirant paranoïaque, confirmant le postulat communément admis au sein de la communauté

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Remerciements

Les auteurs remercient le Cercle de psychiatrie légale de l’Ouest et plus particulièrement les Drs Barré, Château, Fournis, Le Foll, Lozachmeur, Nabhan-Abou, Orsat et Vergnaux, pour leur aide et leur contribution à cette étude.

Références (25)

  • S. Fazel et al.

    Schizophrenia and violence : systematic review and meta-analysis

    PLoS Med

    (2009)
  • Fédération Française de Psychiatrie. Expertise psychiatrique pénale - Audition publique

    (2007)
  • Cited by (2)

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