Mutation de l’EGFR, de l’étude du gène à la pratique clinique : exemplarité ou exception ?EGFR mutation, from gene studies to clinical practice: perfect example or exception to the rule?
Introduction
Environ 13 millions de personnes dans le monde étaient atteintes d’un cancer en 2008 [1]. Le cancer du poumon était le premier cancer en termes d’incidence et de mortalité, toutes régions confondues, mais aussi dans les pays développés ou en voie de développement. Le cancer du poumon était le deuxième cancer incident chez l’homme (après la prostate) et le troisième chez la femme (après le sein et le colon), mais restait le premier en termes de mortalité, chez l’homme et le premier ex aequo avec le cancer du sein, chez la femme. Il s’agit dans plus de 80 % des cas d’un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) [2,3]. La survie à cinq ans est inférieure à 15 % du fait essentiellement d’un diagnostic tardif, à un stade localement avancé ou métastatique [2,3]. Le traitement de première ligne des CBNPC métastatiques reposait jusqu’aux années 2010 sur l’administration d’une chimiothérapie par un doublet à base de platine, chez les malades aptes à recevoir une chimiothérapie [3]. Plus récemment, l’association d’un antiangiogénique (bevacizumab) à un doublet de platine pour les CBNPC non épidermoïdes (NE) et le développement des stratégies de maintenance ont permis de faire passer la survie médiane des CBNPC métastatiques d’environ 9 mois à plus de 12 mois [4,5]. Finalement, le pronostic des CBNPC métastatiques a été révolutionné par le développement de molécules (inhibiteurs « ib » ou anticorps monoclonaux « mab ») ciblant la famille HER et en particulier HER1, ou « epidermal growth factor receptor » (EGFR), particulièrement actives chez les malades dont le CBNPC était porteur d’une mutation de l’EGFR [6,7]. En effet, deux inhibiteurs spécifiques de l’activité tyrosine kinase de l’EGFR (ITK-EGFR), le gefitinib (Iressa®, laboratoire AstraZeneca) et l’erlotinib (Tarceva®, laboratoire Roche) sont actuellement disponibles pour le traitement des CBNPC métastatiques dès la première ligne de traitement, mais restreints aux seuls malades dont la tumeur porte une mutation de sensibilité aux ITK (ou mutation activatrice). Dès lors, le concept d’addiction ou de dépendance oncogénique a germé dans l’esprit des cliniciens et une recherche fondamentale, translationnelle et thérapeutique extrêmement active a fait émerger de nouveaux couples biomarqueur/biothérapie porteurs de progrès, de déceptions ou d’incertitudes.
Les objectifs de cette revue sont de décrire à partir de l’exemple des mutations de l’EGFR : i) les autres principales addictions oncogéniques actuellement reconnues et leurs fréquences ; ii) les acquis thérapeutiques et les limites liés aux phénomènes de résistance secondaires ; iii) l’approche diagnostique de ces addictions en pratique.
Section snippets
Comment les mutations de l’EGFR ont été découvertes ?
Les mutations de l’EGFR, comme cible thérapeutique d’une addiction oncogénique, ont été découvertes après le développement clinique des ITK-EGFR (Fig. 1) [8]. L’erlotinib et le gefitinib ont fait l’objet initial de deux essais de phase III (essais BR21 et ISEL) randomisés contre placébo dans des populations de CBNPC métastatiques non sélectionnés en rechute ou progressant après avoir reçu au moins un doublet à base de platine [9,10]. Seul l’erlotinib a pu montrer son intérêt sur la survie
Les autres addictions oncogéniques, différences/similarités avec les mutations d’EGFR
La recherche des autres addictions oncogéniques pouvant faire l’objet d’un traitement ciblé au cours des CBNPC s’est faite de manière différente de celle des mutations de l’EGFR (Fig. 1) : i) identification d’oncogènes par tri fonctionnel dans un système biologique (ALK, ROS1) ; ii) recherche dans les CBNPC d’addictions oncogéniques déjà connues pour d’autres cancers (HER2, BRaf et KRas) ; iii) recherche d’anomalies moléculaires potentiellement oncogènes (mutation, amplification, réarrangement)
Des oncogènes en quête d’addiction
L’existence d’une dépendance oncogénique pour d’autres oncogènes classiques comme c-met, PI3K ou KRas est très discutée au cours des CBNPC (Tableau 2).
Mutations de l’EGFR et réarrangements d’ALK, des similitudes dans la résistance
L’histoire de la découverte des CBNPC mutés pour l’EGFR et de leur traitement a rapidement fait entrevoir l’apparition de phénomènes de résistances secondaires et réfléchir à leur prise en charge thérapeutique. Très rapidement, les mêmes questions se sont posées avec les CBNPC réarrangés pour ALK [15,33,89] (Fig. 5). Dans les deux situations, les résistances secondaires surviennent en médiane dans les neuf à douze mois après l’institution de l’ITK. Certains pièges doivent être évités, comme les
Comment rechercher ces addictions oncogéniques en pratique ?
La recherche des addictions oncogéniques au cours des CBNPC a été facilitée en France par la mise en place des plates-formes moléculaires de l’INCa, les financements STIC et le projet Biomarqueurs France, les malades disposant d’un accès gratuit à ces tests diagnostiques [96] (Fig. 6 et 7). Les résultats obtenus à partir de ces différentes sources d’informations permettent de définir une épidémiologie moléculaire des CBNPC-NE en France et aideront à préciser la meilleure stratégie de recherche
Liens d’intérêts
Jacques Cadranel a reçu des honoraires d’AstraZeneca, Boerhinger-Ingelheim, Genentech, GSK, Lilly, Pfizer et Roche dans le cadre de réunions de conseil pour le développement des molécules et pour des exposés de formation non promotionnelle. Il a voyagé dans le cadre de congrès avec Boerhinger-Ingelheim, Lilly, Pfizer et Roche. Il a été ou est investigateur principal ou investigateur dans le cadre d’essais thérapeutiques pour Boerhinger-Ingelheim, GSK, Genentech, Lilly, Novartis, MSD, Pfizer et
Références (106)
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Erlotinib versus chemotherapy as first-line treatment for patients with advanced EGFR mutation-positive non-small-cell lung cancer (OPTIMAL, CTONG-0802): a multicentre, open-label, randomised, phase 3 study
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